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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/772

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et à mourir. C’est ce qu’il fit. À ceux qui souhaiteraient avoir des nouvelles du surtout, nous dirons qu’il ne fut pas achevé, bien que M. Denière ait eu un instant commission de suppléer à la collaboration de Chenavard absent. D’ailleurs les événemens de 1848 vinrent par surcroît se jeter à la traverse : les quatre groupes d’animaux, les cinq chasses, les douze candélabres, plus de vingt pièces furent distribuées, çà et Là, au gré des hasards de la vente, à tous les horizons.

Ce n’est pas seulement en cette besogne d’orfèvrerie, en ce cerf de soupière, en ces menus objets de toute sorte, en ces animaux de surtout que M. Barye affirme les ressources de son esprit et de sa main, ni qu’il manifeste sa personnalité. Après les mœurs du cerf, — les mœurs du cerf ! et pourquoi non ? — il reproduit celles du lion, de l’ours, de l’aigle, de l’éléphant. Il nous les montre dans leurs attitudes favorites et familières, ici guettant leur proie, qu’ils déchireront de leurs griffes comme l’homme sauvage la percera de ses flèches ; ici poursuivant à la course ce pain quotidien qui s’enfuit, là enfin, non plus féroces, mais satisfaits, au repos, étalant sur le sable chaud leur ventre repu, les yeux fermés par une douce somnolence. Il nous transporte dans ce pays de nécessité où la loi s’exerce sans merci ni miséricorde, où la crainte, la ruse, la violence, règnent et gouvernent. Lui-même, il ne se pique point de sentiment, il ne s’apitoie pas, il ne verse point de larmes. Point de morale, point de conclusion. Il décrit, c’est là son rôle. Il s’interdit le terrain réservé à un art différent, sachant qu’il n’y aurait point de bénéfice pour lui à déplacer les bornes de son domaine. Longtemps on l’y a laissé seul, sans autre compagnie que celle des bêtes, c’est lui qui le dit. Il s’attacha surtout au roi des animaux, à ce lion dont l’indépendance n’a point été entamée, — que l’homme prétend avoir dompté parce qu’on l’a tenu en cage. Le beau Lion passant et rugissant de la colonne de Juillet, ce bas-relief si plein et si ferme, cet emblème de la force, où les muscles, leviers vivans, sont accentués avec tant de simplicité et d’énergie, fut une entrée en matière qui promettait beaucoup. Le Lion tenant un serpent, qu’on vit plus tard au jardin des Tuileries, ne démentait pas cette promesse.

L’animal, à la crinière hérissée, frémissante, est victorieux. Il conserve un air d’audace ; il est fier de son triomphe. Le reptile est écrasé sous sa lourde patte ; il menace encore ; il essaie de se redresser. Le bronze a été fondu d’un seul morceau, à cire perdue, suivant un procédé sans peur et sans reproche, mais si dangereux, — tout est à refaire quand on ne réussit pas du premier coup, — qu’on l’a depuis longtemps abandonné. M. Barye ne reculait point devant ces dangers pour obtenir la perfection du travail et la venue