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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 85.djvu/773

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d’un seul bloc. Par compensation aux chances désastreuses, les retouches à la lime, au marteau, secours d’une main étrangère, peuvent être évitées ; le bronze apparaît entier, d’un jet, tel qu’il est sorti de l’épreuve du feu. Aussi, même de près, ces sortes de fontes ne portent nulle trace d’hésitation ni de repentir ; si fougueuse que soit la composition de l’auteur, le caractère y reste imprimé, et la touche ne faiblit point. C’était l’époque où fut déployée par l’artiste la plus vive puissance de réalité, d’expression et de fantaisie ; son imagination aspirait à reproduire ces types entrevus par les légendes populaires dans le lointain des âges écoulés. L’homme alors, à peine dégagé de l’animalité, à demi éveillé, rêve encore de monstres et de chimères, dragons, hippogriffes, sphinx, centaures, faunes, sylvains. C’est la jeunesse du monde. M. Barye était alors dans sa propre jeunesse, à l’heure de l’éblouissement et des vastes pensées. Plus tard, l’exécution sera moins tumultueuse, les silhouettes moins découpées, moins tourmentées, les reliefs moins durement frappés. Il ne se laisse point entraîner cependant. Déjà savant, il reste maître de lui-même à un degré qui peut surprendre. Par quelles combinaisons singulières arrive-t-il à prêter la vraisemblance à ces êtres qui ne sont point, qui, participant du dieu, de l’homme et de la bête, naissent cependant viables, et semblent avoir en eux-mêmes leur raison d’apparaître en tous ces drames de la nature ? Comment le cheval et le taureau se sont-ils soudés à l’homme ? Comment ces doubles torses, ces doubles reins ne sont-ils point inharmonieux, n’offensent-ils point nos regards, ne nous choquent-ils point ? Nous prenons au contraire un plaisir durable à les contempler. La raison est satisfaite. La plupart des lois qui ont présidé à l’organisation des êtres sont observées ; les transitions sont ménagées, nous n’apercevons pas le tour de force. L’anatomie précise les points d’attache, les mouvemens ne sont pas impossibles. Enclins à nous éprendre d’amour pour les merveilles, nous nous laissons aller à la croyance involontaire. Pourquoi cela ne serait-il pas ? Il suffit de comparer le caractère que M. Barye a donné à ces personnages fabuleux avec d’autres œuvres du même genre, des plus célèbres, pour se rendre compte de l’aisance avec laquelle, grâce à des connaissances spéciales, il a pu se rire des difficultés et passer au travers de ce dédale sans risquer, comme plusieurs de ses confrères, de se fourvoyer et de rester en chemin. La Délivrance d’Angélique, le groupe du Thésée, celui du Lapithe et du Centaure, sont des témoins qu’on ne récusera pas.

Le Lion tranquille ou assis rallia la plupart des mécontens ; le sculpteur se rapprochait de la décoration monumentale, il donnait des gages aux saines doctrines ; mais il n’avait point assez dé-