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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 100.djvu/526

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Il s’explique pourtant très facilement lorsqu’on se rappelle l’organisation agraire des communautés de village ; il est vrai qu’il ne s’explique que de cette manière. La qualité essentielle d’un instrument des échanges, c’est d’être utile à tous, accepté par tous, et de circuler par suite sans arrêt de main en main. C’est ainsi qu’on a pris comme monnaie des fourrures en Sibérie, de la morue au banc de Terre-Neuve, des cubes de sel et des bandes de coton bleu en Afrique, du tabac en Amérique pendant la guerre de l’indépendance, et aujourd’hui chez nous parfois des timbres-poste. Dans les communautés primitives, chaque famille possède du bétail et en consomme ; elle est donc en mesure d’en livrer et satisfaite d’en recevoir. Comme elle peut disposer du pâturage commun, si on lui donne quelques moutons ou quelques bœufs en paiement, elle n’en sera nullement embarrassée ; elle les enverra sur la lande avec le reste de son troupeau. Grâce à l’entremise du berger chargé de conduire à la pâture tout le bétail des habitans de la marke, les paiemens en têtes de moutons et de bœufs peuvent se faire au moyen de cette opération de banque que l’on appelle « virement de parties, » et que le clearing house de Londres a porté à la perfection. Si Paul doit 1,000 fr. à Pierre, et qu’ils aient le même banquier, le paiement se fait par une simple transcription au livre : les 1,000 fr. sont soustraits à l’actif de Paul et portés à celui de Pierre. Dans la communauté primitive, le paiement pouvait se faire de la même façon. Si Sigurd devait dix bœufs à Gunther pour une épée, il en avertissait le berger, qui les prenait dans le troupeau du premier pour les adjoindre au troupeau du second. L’emploi du bétail comme moyen d’échange général chez les peuples aryens prouve qu’avant leur dispersion ils vivaient à l’état pastoral, et l’histoire économique vient ainsi corroborer les résultats auxquels est arrivée la philologie comparée.

Les anciens peuples de la Grèce et de l’Italie vivaient-ils aussi en communautés de village comme les Germains et les Slaves ? Certains auteurs affirment que non. « Ces peuples, dit M. Fustel de Coulanges dans son livre la Cité antique, ont toujours connu et pratiqué la propriété privée. » Il est vrai qu’au moment où ils apparaissent dans l’histoire, ils sont déjà parvenus à un état de civilisation plus avancé, plus moderne que celui des Germains de Tacite. Ils sont sortis depuis longtemps déjà du régime pastoral ; ils cultivent le blé et la vigne, et se nourrissent moins de viande : c’est l’agriculture qui leur fournit la plus grande partie de leur subsistance. Néanmoins il reste encore des traces très reconnaissables du régime primitif de la communauté. Ainsi le bétail n’aurait pu servir de moyen d’échange, si la plus grande partie du terrain n’avait pas