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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/116

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simulent la marche des victimes dans le labyrinthe de Crète. Ainsi tout reporte le souvenir aux descriptions homériques.

De cet état des mœurs naissent sinon des lois, — car ici il faut éviter toute expression, qui indiquerait une volonté réfléchie, — du moins des usages que maintient une barbarie toujours pareille. Le clan a intérêt à éviter tout ce qui peut l’affaiblir, l’étranger en est absolument exclu ; la propriété reste à peu près inaliénable, en ce sens que tout Albanais qui veut vendre sa terre doit d’abord la proposer à ses parens, et, quand ceux-ci ne l’achètent pas, obtenir, pour la vendre, l’autorisation des vieillards. La tribu accorde rarement ce droit. Le territoire consacré au pâturage est indivis, il appartient à toute la communauté : les anciens en font le partage chaque année au printemps ; ce fait, n’expliquerait-il pas bien des passages des anciens sur la communauté de la terre dans l’état de barbarie, chez les Germains par exemple ? Aristote remarque que l’usage, de la part du fiancé, de payer une dot aux parens de la jeune femme est un des caractères de l’état primitif ; l’Albanais paie cette dot, il achète sa femme. Cette somme payée par l’homme est le mund des lois lombardes, objet de tant de discussions ; le code d’Ethelberd fixe le nombre des bestiaux que le mari donnera en prenant sa fiancée. C’est dans le même sens qu’Homère dit des belles femmes qu’elles valent beaucoup de bœufs ; les ’ένδχc des Grecs répondent au mundium des Germains. Dans quelques tribus, le mariage se fait par rapt ; nul ne peut épouser qu’une femme enlevée à une tribu ennemie. A Orosch, chef-lieu de la Mirditie, presque toutes les femmes ont été ravies de la sorte. Le prince de ce district, étant devenu veuf il y a quelques années, enleva, pour se remarier, la fille du bey de Croïa ; l’usage, est général dans cette montagne. Sir John Lubbock, qui a éclairé tant de questions relatives à l’état barbare, retrouve cette coutume chez un grand nombre de peuples de l’Amérique et même de l’ancien monde. On voit que cette manière de faire, si bizarre qu’elle nous paraisse, n’est pas contraire à la nature : l’étrange n’existe, ni dans l’histoire ni dans la science. La femme enlevée peut être considérée comme une compagne nécessaire, comme un meuble utile, elle ne saurait prétendre à une plus haute dignité. Le mari veut que nul n’y touche, moins par amour, que par sentiment de la propriété. Il est doux pour elle : , il la traite comme l’enfant qui demande des caresses et à qui son père en prodigue. Il ne faut pas s’imaginer dans la barbarie un respect du mariage qui aille jusqu’aux scrupules ; sur quoi serait-il fondé ? Que ses instincts l’y poussent, bien qu’il ne soit pas sensuel, l’Albanais associera à sa femme une autre fille ; l’église catholique a beau être sévère, la