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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/217

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entendu son récit, l’introduisit auprès de l’empereur pour lui faire connaître la vérité. Napoléon, son pantalon sur ses bottes, pointait une carte au moment de son entrée, et il finit de s’habiller en l’écoutant défendre son maréchal. Comme il parlait, la porte s’ouvre brusquement, et le maréchal Davout parait sans être annoncé. En voyant son aide-de-camp, qui n’était pas là par son ordre, avant même de s’adresser à l’empereur, le maréchal, se tournant, les sourcils froncés, vers Trobriand, lui dit : « Que faites-vous ici, monsieur ? Mes aides-de-camp m’appartiennent ; descendez m’attendre. » Le brave officier sort fort troublé ; mais, non moins curieux que troublé, pour la première fois de sa vie il colla son oreille à la porte, afin d’assister au premier abordage, et il entendit le maréchal entrer ainsi d’assaut dans la question : « Si votre misérable Ponte-Corvo avait voulu faire déboucher une tête de colonne, j’aurais encore dix mille hommes de plus au service de la France. » L’empereur ne répondait pas, et Trobriand s’en allait, la tête toujours tournée vers la porte, se frottant les mains et se disant : « Cela marche, cela marche ! » quand son grand sabre qui traînait, s’accrochant dans les jambes d’un jeune officier, les fit tomber tous deux. Impatiences, léger coup d’épée et amitié ensuite. Le brave soldat racontait que son retour en wurst avec le maréchal, qui lui reprochait impérieusement sa démarche et le mit aux arrêts, avait été rude. Pour ne pas l’irriter davantage contre Bernadotte et craignant d’amener une affaire entre eux, il eut la vertu de ne pas lui raconter ce qui était arrivé, et comment il se trouvait chez l’empereur pour le, défendre. »


N’est-il pas vrai que la figure de Davout ressort de cette narration bien reconnaissable et bien complète ? Le voici avec ses traits si fortement accentués, son indomptable obstination, son coup d’œil ferme et précis, son sévère souci de la discipline, son impérieuse brusquerie. Ne trouvez-vous pas aussi qu’il y a là la matière première d’un de ces récits militaires où la grandeur se mélange à la familiarité, comme Mérimée et Stendhal les aimaient et savaient les faire ? La brusque entrée de Davout chez l’empereur surtout est d’un bel effet dramatique ; c’est une scène toute trouvée et qu’il n’y aurait qu’à développer.

Plusieurs de ces anecdotes vengent Davout de la réputation de dureté qui lui a été faite, réputation que nous avons toujours eu peine à comprendre, ne pouvant admettre qu’une grande supériorité ne soit pas doublée d’une grande bonté. Toute la difficulté consiste peut-être à bien définir quelle est la nature de bonté qui convient à un chef d’armée. Évidemment ce ne peut être celle qui convient à un infirmier ou à une sœur de charité. Or ne serait-il pas piquant que l’examen scrupuleux de cette question nous conduisit à ce paradoxe apparent ; la bonté véritable d’un général en