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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/222

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savait rien, entre, la poitrine resplendissante d’ordres en diamans. Davout l’aperçoit, marche vers lui comme un tourbillon, et lui dit à haute voix : « C’est vous, monsieur, qui prétendez remplacer le général Gudin ? Vous croyez y parvenir ? Mais, plutôt que de laisser enlever à cet héroïque général le commandement des braves divisions qu’il a vingt fois menées à la victoire, je briserais mon bâton de maréchal ! » Le pauvre général Puthod, innocent d’ailleurs, se prit à pleurer et s’en alla. Il ne connaissait pas même l’ordre ; Davout, détrompé, s’excusa le soir, mais il garda le général Gudin. »


Terminons par ce croquis de Davout en 1815, dû aux souvenirs de M. Allart, ancien directeur des télégraphes, qui paraît avoir laissé le souvenir d’un homme d’esprit à tous ceux qui l’ont connu.


« En 1815, lors du licenciement de l’armée de la Loire, M. Allart, alors fort jeune, était employé au conseil d’état. Il fut chargé de porter une dépêche importante au prince d’Eckmühl, dont le quartier-général était à Orléans, et il partit à franc étrier.

« L’armée française, qui occupait la rive gauche de la Loire, n’était séparée que par le fleuve de l’armée ennemie, qui campait sur la rive droite, et la tente du maréchal était dressée tout près du pont d’Orléans, dont l’artillerie française défendait les abords, tandis que de l’autre côté la rive et la tête du pont étaient garnies de l’artillerie ennemie. M. Allart, ayant atteint la rive gauche et le quartier-général, fut immédiatement introduit dans la tente du prince d’Eckmühl, auquel il remit les dépêches dont il était porteur.

« Pendant que le maréchal lisait, le jeune messager l’observait avec attention, et il éprouvait une impression étrange et, disait-il, un grand désappointement. Il se trouvait en présence d’un des plus illustres guerriers de ces temps héroïques, et rien, dans l’apparence du maréchal, ne révélait un des vainqueurs de l’Europe. Il était assis devant une table de travail, le front soucieux, courbé, on pourrait dire affaissé, et son regard impassible parcourait lentement la dépêche. Après l’avoir lue, et sans lever la tête, il dit : « C’est bien, reposez-vous, et dans deux heures soyez prêt à repartir. » M. Allart ne bougeait pas. « Est-ce que vous ne m’avez pas entendu ? reprit le maréchal, mais cette fois d’un ton brusque accompagné d’un regard sévère. — Je vous demande pardon, monsieur le maréchal, lui répondit le jeune courrier improvisé, qui pouvait à peine se tenir sur ses jambes ; mais je prendrai la liberté de vous faire observer que je ne suis pas militaire, encore moins cavalier, et que je suis incapable de repartir à cheval. — Eh bien ! dit le maréchal, on vous donnera une voiture. »

« En ce moment un grand tumulte se fait entendre autour de la tente. Un aide-de-camp entre précipitamment, tout essoufflé : « Monsieur le maréchal, s’écrie-t-il, un bateau rempli de blessés français descend la Loire,