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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/223

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se dirigeant vers le quartier-général. Les Prussiens lui ont ordonné de s’arrêter, lui défendent le passage et menacent de le couler bas, s’il fait un pas de plus. »

« Alors, dit le narrateur, je fus témoin d’une scène que je n’oublierai jamais. Le maréchal se lève, d’un bond il est hors de sa tente, il me semblait qu’il avait dix pieds de haut ; il s’avance tête nue, et d’une voix de stentor : « Canonniers, à vos pièces ! » Monsieur, dit-il à l’aide-de-camp, franchissez le pont sans perdre une seconde, sans formalité quelconque, criez au bateau de continuer sa route, et dites aux Prussiens que, si le moindre obstacle lui est opposé, je commence le feu. »

« Quelques minutes après, disait M. Allart, tout bruit avait cessé. Les canonniers avaient éteint leurs mèches, le bateau ayant passé sans plus d’obstacles ; le maréchal était rentré chez lui, et j’attendais ses dépêches, mais j’étais moi-même tellement surexcité que je crois que, s’il l’eût fallu, je serais remonté à cheval. »


Arrêtons-nous sur cette scène, qui nous montre Davout à la dernière heure de sa grande vie militaire. Nous n’avons pas la prétention de faire en quelques pages rapides une étude sur un pareil homme ; tout ce que nous avons voulu, c’est saluer sa renommée au passage, puisque nous la rencontrions sur notre chemin, et profiter de cette occasion pour faire partager à nos lecteurs une partie de l’intérêt que nous avait inspiré la lecture de documens intimes assemblés par une pieuse affection. Rien n’est indifférent de ce qui regarde une vie héroïque, et le plus petit détail, quand il s’agit d’un homme illustre, perd aussitôt toute insignifiance et prend une portée qu’on n’aurait pu soupçonner. Qu’il nous soit permis en terminant d’exprimer à la fois un regret et un vœu. Nous savons qu’il reste du maréchal Davout des documens de la plus extrême importance, de nombreuses pièces militaires, une abondante correspondance, et surtout un récit détaillé de l’occupation de Hambourg écrit en partie sous la dictée du maréchal, en partie de sa propre main. Les documens intimes dont nous venons de faire usage contiennent de ce mémoire des citations assez nombreuses et une analyse qui pique vivement la curiosité. L’occupation de Hambourg est un des épisodes de l’empire qui sont le moins connus ; or cette histoire existe, et écrite précisément par l’homme qui en fut le principal acteur. Nous ne savons quelles causes ont pu retarder jusqu’à ce jour la publication des papiers du prince d’Eckmühl, mais nous les regrettons en les ignorant, et nous espérons que le jour est prochain où la voix de ce mort glorieux rompra enfin le silence qu’elle a trop longtemps gardé pour nous apporter son témoignage quee l’histoire réclame et que la France attend.


EMILE MONTEGUT.