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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/231

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L’ALSACE-LORRAINE DEPUIS L’ANNEXION.

qu’il ne lui restait plus qu’à s’incliner devant un art supérieur qui se préparait en Angleterre. À qui la faute ? Aux maîtres français, disait-on, qui s’obstinaient dans la routine et allaient par leur entêtement nous exposer à déchoir. De là des disputes d’écoles et un feu croisé d’intrigues, si bien qu’un beau jour notre Académie des Beaux-Arts fut jugée à huis-clos, condamnée sans avoir pu se défendre et privée de la meilleure partie de ses attributions. Son héritage fut dispersé à tous les vents, ballotté de main en main, et c’est d’hier seulement qu’elle a pu en recueillir quelques débris. Si la réforme des écoles anglaises et le musée de Kensington ne sont pas nés de ce petit coup d’état, on peut affirmer qu’ils l’ont merveilleusement servi. Une fois l’acte accompli, le bruit qu’avaient fait ces institutions d’outre-Manche s’est graduellement éteint ; les pronostics favorables ou fâcheux sont tombés, dans le même oubli. En réalité, l’Angleterre n’a retiré qu’un fruit assez médiocre des dépenses qu’avaient couvertes de larges souscriptions : au premier engouement, on a vu succéder une certaine lassitude. Ces écoles, en augmentant le nombre de leurs élèves, n’en ont pas vu s’améliorer la qualité ; sur beaucoup d’appelés, peut-être y a-t-il eu moins d’élus, les facilités offertes ont multiplié seulement les vocations douteuses ; enfin Kensington, à bien suivre sa clientèle, est aujourd’hui moins un foyer d’études qu’un objet de curiosité. D’un autre côté, la France n’a pas eu à essuyer la déchéance dont on la menaçait : elle tient encore, sur les sommets de l’art, un rang qu’on ne saurait lui disputer ; elle excelle toujours dans les industries qui en dépendent, les toiles peintes, les bronzes, les émaux, la céramique, l’orfèvrerie, les tapis et tapisseries de luxe ; elle a même avec ses qualités conservé ses défauts, qui sont une exécution à outrance et les exagérations de la jeunesse. Ni l’abondance des écoles, ni la richesse des collections, n’ont donc changé les proportions qui existaient entre l’Angleterre et nous quand elle a engagé ce duel d’art au bout duquel tant de voix présageaient notre abaissement.

Il y a cependant un fait à noter dans cette expérience, et qui peut donner à réfléchir aux Allemands : tant qu’elle a duré, un courant assez vif d’émigration a régné parmi nos artistes et nos ouvriers d’art ; on le devait encore à la notoriété entretenue par les officieux, si prompts à prendre l’alarme. Il semblait que l’Angleterre allait devenir pour les hommes que l’art nourrit une sorte de terre promise, et qu’on ne pourrait aller jouir assez tôt des avantages qui leur seraient dévolus. Une petite colonie française passa donc le détroit, et par aventure trouva le terrain préparé, des logemens à des prix discrets et des installations faciles. Voici comment, à la suite des désordres et des proscriptions de 1848, un premier convoi