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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/232

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REVUE DES DEUX MONDES.

d’artisans, et dans le nombre quelques sujets de choix, s’était réfugié à Londres. Les uns maniaient le pinceau, d’autres l’ébauchoir ; ceux-ci traitaient la figure, ceux-là l’ornement. La plupart avaient réussi ; ils formaient ainsi des cadres dans lesquels les nouveau-venus étaient libres d’entrer. Dans cette combinaison, tout était profit pour ces derniers ; ils trouvaient là des compagnons sachant leur langue, des guides, des interprètes et au besoin des cautions. Tout alla bien au début ; mais au bout d’une certaine période de séjour ils firent tous ou à peu près tous, anciens et nouveaux, une découverte, c’est qu’au lieu d’avancer dans leur art ils se sentaient gagnés par un invincible déclin. Était-ce une impression morale ou une disposition physique ? Ils ne s’en rendaient pas compte ; mais l’effet était constant et les frappait, ils vivaient de ce qu’ils avaient acquis, et ne faisaient plus de progrès. L’inspiration ne leur venait plus, leur main les servait mal. Involontairement ils se tournaient alors vers la France, et l’esprit de retour les gagnait. Peu y ont résisté, un à un ils sont revenus à Paris, les uns pour toujours, les autres pour y renouveler leurs provisions d’idées et de forces, se remonter l’imagination ou retrouver leur dextérité. Ce qui restera en Angleterre après ces éliminations est voué au goût anglais, et bon gré mal gré subira l’influence des milieux.

C’est que l’art ne se naturalise pas au gré des conquérans ; ni le fer ni l’or ne peuvent rien sur lui, il ne se fixe que là où il lui plaît d’aller ; c’est une plante délicate à laquelle il faut une exposition de choix, un sol, un climat et une culture appropriés. User de violence avec lui, qu’on l’essaie donc ! plus la main est brutale, moins elle a de chance de le posséder. Ce n’est pas non plus la grandeur des états qui l’attire ; des villes comme Florence, des républiques comme la Grèce, ont été pour lui des asiles de prédilection où il a répandu ses prestiges. Il ne s’accommode pas davantage du bruit des armes ; c’est dans les loisirs de la paix qu’il se plaît le plus volontiers. Voilà bien des obstacles, des incompatibilités dont Berlin ne triomphera pas aisément. Ses soldats ont pu franchir l’enceinte de nos remparts, ils ne franchiront pas cette autre enceinte, inaccessible aux profanes, dont l’art environne ses initiés. L’art n’est pas tout d’ailleurs pour une ville qui aurait la prétention de devenir ce qu’est Paris, l’un des plus grands marchés de luxe qui soient au monde. Les conditions alors deviendraient bien plus lourdes ; il faudrait une variété d’assortimens à laquelle il est difficile d’atteindre, l’éclat des produits, la renommée acquise, le choix éprouvé de la matière, la perfection de la main-d’œuvre ; il faudrait par-dessus tout l’homogénéité du marché, que Paris réalise au plus haut point. Là-dessus il a discipliné non-seulement nos provinces, mais les