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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/250

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politique de sédition et d’excitation. Malheureusement, si ce système a souvent de désastreuses conséquences dans notre vie intérieure, il est parfois plus dangereux encore au point de vue de notre situation extérieure.

Il faudrait bien se dire que nous ne sommes pas dans des conditions ordinaires, que toutes les polémiques ne sont pas sans péril. On vient de s’en apercevoir tout récemment encore par un incident des plus pénibles, par cette lettre que M. le maire de Nancy s’est vu obligé d’écrire à notre plénipotentiaire au camp allemand, M. de Saint-Vallier, pour se plaindre de la situation cruelle où les polémiques de certains journaux placent les habitans des départemens occupés qui « paient sans se plaindre la rançon de la France en restant jusqu’au bout le gage de cette rançon, » et en demeurant exposés aux contre-coups de l’irritation produite chez les Prussiens par des articles irréfléchis. M. le maire de Nancy dit avec tristesse une parole qu’on devrait avoir toujours présente. « Le seul moyen en ce moment pour la France de nous témoigner ses sympathies, c’est de nous aider par une sage prudence à supporter jusqu’au bout, sans secousses violentes, les charges d’une occupation que l’exagération de certains sentimens ne ferait que prolonger. » Aussi tout nous rappelle à chaque instant une situation douloureuse, et ce serait bien le moins que l’administration de la guerre ne se mît pas, elle aussi, de la partie, pour nous faire sentir ce cruel déboire en envoyant sans précaution suffisante à Châlons des soldats qui se trouvent exposés à être désarmés par les Prussiens. C’est bien assez que des articles de journaux nous attirent des mésaventures par des polémiques inutilement provocantes.

Quelle étrange et malfaisante manie, en effet, de s’épuiser si souvent en disputes dangereuses ou en déclamations passionnées lorsqu’il y a tant à faire de toute façon, lorsqu’il n’y a point une heure à perdre pour préparer la reconstitution morale et nationale de la France ! Puisque le malheur nous a fait sentir son aiguillon, il faudrait au moins profiter de cette dure expérience pour se recueillir avec une patriotique sincérité, pour étudier résolument, virilement, les causes de tous ces désastres accumulés, et pour chercher les moyens de les réparer. C’est là une œuvre bien autrement sérieuse, bien autrement salutaire que toutes les agitations factices des partis, qui ne font qu’aggraver nos misères en aigrissant les esprits, en détournant l’attention des seuls objets dignes d’occuper une société qui n’a plus le droit de se flatter elle-même, qui a trop cruellement expié ses illusions, ses fantaisies ou ses défaillances. Les questions politiques ont toujours de l’importance sans doute ; il y a des questions bien plus graves encore, qu’il faut savoir aborder simplement, qu’on ne peut résoudre que par le travail, par l’étude, par une action attentive de tous les jours et de toutes les heures.