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Londres. Il s’y refusa pendant sept ans, continua d’entretenir une grosse armée en disproportion avec ses ressources, de manœuvrer auprès des différentes cours et d’ajourner les réformes intérieures sous prétexte que les difficultés extérieures ne permettaient pas de s’en occuper. Si la nation hollandaise avait chaleureusement épousé ses intérêts dans le conflit avec la Belgique, elle avait trop de bon sens pour ne pas voir que la séparation des deux royaumes était désormais irrévocable. L’entêtement du roi à poursuivre une restauration chimérique pesait lourdement sur le pays, qui murmurait. La popularité de Guillaume Ier avait donc notablement diminué lorsqu’en 1839 il se vit enfin forcé, devant la volonté de l’Europe, à se soumettre et à désarmer. Même alors il ne voulut pas comprendre combien il était à désirer que la Néerlande, sortie honorablement, mais diminuée, mécontente, appauvrie, de cette crise prolongée, cherchât les élémens d’une vie nouvelle dans une féconde réforme intérieure. L’âge était venu pour Guillaume Ier avec son cortège ordinaire d’illusions et d’opiniâtretés. La nation d’ailleurs vivotait encore tranquillement, conformément à ses vieilles habitudes, sous un sceptre qu’elle respectait. La malheureuse issue de la révolution belge n’était pas faite pour rendre aux théories dites révolutionnaires le prestige qu’elles avaient perdu depuis 1813, et dans un pays toujours volontiers conservateur tant que le mal dont il se plaint n’a pas atteint de trop grandes proportions, il n’y avait pas de raison majeure pour que l’on sortît de cette douce somnolence qui n’exclut pas la petite fronde, la critique anodine, mais qui redoute les réformes décisives.

Il y a plus. Sur ce fond d’idées moyennes, sagement médiocres, éloignées de tout excès, qui formait le patrimoine politique et social de la grande majorité, les dernières années avaient vu surgir une espèce de romantisme politique et religieux d’un genre tout spécial, et dont les conclusions tendaient à restaurer la vieille orthodoxie calviniste, depuis longtemps très ébréchée, et à s’en remettre pour le reste à la maison d’Orange comme à une race prédestinée au gouvernement du pays. Une sorte de mépris pour la vie moderne, ses inventions et ses prétentions, une antipathie prononcée contre la révolution et toutes ses œuvres, l’amour du moyen-âge et du paradoxe, caractérisaient ce romantisme, dont le principal représentant était le poète Bilderdyk, et qui recrutait d’assez nombreux adhérens parmi la jeunesse universitaire. L’influence qu’il eut sur le reste du pays, si l’on en excepte quelques cercles orthodoxes, était encore peu sensible ; mais enfin il y avait là un mouvement d’idées qui ne manquait ni d’éclat ni d’avenir, et un observateur superficiel eût pu croire que l’opinion publique, si elle devait secouer son indifférence, se laisserait plutôt entraîner dans le sens