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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/394

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de la réaction romantique-orthodoxe que ramener dans une voie stigmatisée d’avance comme révolutionnaire.

C’est alors, c’est-à-dire en 1839, en même temps que les affaires belges se dénouaient d’une façon définitive, que M. Thorbecke, toujours simple professeur de droit à Leyde, publia un livre destiné à ouvrir une ère nouvelle dans l’histoire parlementaire de son pays. Sous le titre très modeste de Notes sur la Constitution[1], il rédigea une critique approfondie, très calme, très posée, mais incisive, de chacun des articles de la loi fondamentale pour en faire ressortir les contradictions et les défauts. Cet ouvrage en deux volumes ne sacrifie pas un seul instant aux grâces, pas une ligne rappelle, même de loin, le pamphlet politique. C’est froidement, imperturbablement, avec une monotonie évidemment calculée, que l’auteur dissèque les institutions de son temps, signale les points qui jurent avec la saine raison, les principes proclamés ou qui appellent un changement radical. Un pareil livre ne pouvait réussir qu’en Hollande, mais il devait y réussir. Tandis que parfois ailleurs les hommes graves sont amenés à se rallier aux systèmes que la foule passionnée a commencé par acclamer d’instinct, sans bien savoir ce qu’elle faisait, en Hollande toute tentative de réforme qui ne se présente pas avec les dehors du sérieux, de l’étude méthodique et réfléchie, est condamnée à échouer. La modération des conclusions était un argument de plus en faveur de la thèse générale. On est même surpris de voir un esprit aussi judicieux prendre encore si facilement son parti des élections indirectes et provinciales pour former la chambre des députés ; mais on n’est pas habitué partout, comme en France, à faire de la question électorale le point central des constitutions. Le fait est que ce livre creusa un profond sillon. La jeunesse universitaire, qui vouait au professeur Thorbecke une sorte de vénération à la fois affectueuse et craintive, s’éprit en majorité des réformes politiques proposées avec tant de sobriété dans la forme et de décision quant au fond. Le romantisme de l’école de Bilderdyk fut enrayé ; les vieux conservateurs s’effrayèrent. On prétend que Van Maanen, le ministre abhorré des Belges, mais qui avait conservé la faveur royale et un certain prestige en Hollande, insista auprès du roi pour que l’on poursuivît ce professeur de révolution, ce dangereux séducteur. Guillaume Ier refusa, et fit bien. Thorbecke, dit-on, informé des intentions terroristes de Van Maanen, ne s’en émut guère, et il aurait déclaré qu’à son point de vue Van Maanen avait raison.

Au surplus la situation financière était si mauvaise que le gouvernement se voyait obligé d’associer sérieusement la représentation nationale

  1. Aanteekening op de Grondwet, 1839.