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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/705

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l’importation pour 5 ou 6 millions de drachmes de céréales[1]. Ce n’est pas la mauvaise qualité de la terre qui force l’habitant à faire ces achats. Si médiocre que soit le système de labourage, le sol en Grèce est aussi productif qu’en France et en Allemagne, mais le paysan n’a nul goût pour le travail pénible. Les propriétés du domaine, qui sont si nombreuses et que l’état abandonne gratuitement aux particuliers et aux villages, restent presque toujours incultes par cette raison qu’elles ne paient l’impôt que sur le produit de la récolte. Cette paresse se reconnaît aussi aux taux élevés des salaires. On aura peine à croire que la journée de l’ouvrier employé aux travaux de la campagne monte en Grèce jusqu’à 3 et 4 francs ; ce n’est pas que les bras manquent, mais il faut une forte somme pour engager le Grec à travailler. Dès qu’il n’est pas menacé de rester sans ressource, les bénéfices le touchent peu ; il se résigne à ne faire aucune économie, pourvu qu’il ait chaque jour le peu qui lui est indispensable. A ces défauts se joignent l’aversion qu’il ressent pour tout changement des anciennes méthodes et l’envie que porte le fermier au propriétaire. Tout le monde sait en Grèce que le journalier ne veut pas se donner de peine pour augmenter la fortune d’un patron ; qu’il l’aidera aussi peu qu’il lui sera possible. On ne cite pas dans le royaume une seule grande entreprise agricole qui ait réussi, bien qu’on ait tenté d’importans essais en Eubée, en Élide et en Achaïe. L’état du reste ne fait rien pour l’agriculture ; 6 millions de stremmes de forêts sont livrés aux caprices des habitans, les montagnes se déboisant tous les jours sans que la loi y porte remède. Aucun travail d’utilité publique n’est entrepris. Le coton, le tabac, ont été cultivés par instans avec plus de zèle que les céréales. Ces heureuses périodes ont été temporaires, et bientôt on a vu ces cultures traitées comme toutes les autres. Contre ce penchant à ne rien faire, l’antiquité avait une ressource ; elle employait les esclaves. C’est ainsi surtout que nous pouvons expliquer les grands produits que la Grèce tirait autrefois de son sol. Si l’Attique, les îles et l’isthme de Corinthe devaient leurs richesses au commerce, le Péloponèse et la Béotie vivaient de l’agriculture. Les anciens avaient porté cette science à une rare perfection : nous trouvons dans les écrivains les témoignages du soin et de l’habileté qu’ils y mettaient ; le sol conserve partout les traces des grands travaux qu’ils avaient exécutés.

L’industrie n’est pas plus florissante que l’agriculture. Ce peuple résout un problème singulier : il tire tout de l’étranger ; ses importations montent à 61 millions de drachmes, tandis que les

  1. La Grèce a pris récemment le franc pour unité en lui conservant le nom de drachme. Dans tous les chiffres que nous citons, la drachme équivaut seulement à 95 centimes.