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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/724

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RENÉ.


Hélène !

HÉLÈNE.


Voilà donc ce qu’il avait dans l’âme !
De la maîtresse pauvre, on ne fait pas sa femme,
Mais de la femme on peut redevenir l’amant ;
Cela permet d’aimer bien plus commodément,
Et le calcul est sûr, ayant à son service
Le souvenir pour arme et la peur pour complice…
Et tout cela vous tente ! il vous prend ce désir
De jouer mon bonheur contre votre plaisir,
Et d’avilir ma faute et d’entraver ma tâche…
Eh bien ! cela, c’est lâche ! oui, lâche ! lâche ! lâche !

RENÉ.


Ecoute !

HÉLÈNE.


Assez ! assez ! à cette heure j’y vois !
Je ne suis plus l’enfant candide d’autrefois.


On croyait donc que le véritable sujet du drame était cette revanche si vaillamment engagée par Hélène. Le public fut désappointé quand il vit dévier tout à coup aux actes suivans la ligne droite dont l’auteur lui avait suggéré l’idée. Hélène a tout avoué à son mari ; pendant deux actes, nous allons assister aux émotions violentes de l’honnête homme partagé entre la douleur, la colère, la soif de vengeance, et la crainte de faire un éclat qui rendra impossible le mariage de Blanche. Au deuxième acte, c’est une colère muette et d’autant plus terrible, au troisième une explosion de reproches et d’injures. Une fois son sujet arrêté d’une certaine façon, l’auteur en avait combiné habilement les péripéties. Après la scène qui nous a jetés en pleine tragédie bourgeoise, cette résignation apparente de Jean, ce silence, cet accablement, ce désespoir silencieux, toute cette attitude implacable forme un poignant contraste avec la grâce du premier tableau. Comme on sent qu’il y la là quelque chose d’irréparable, on croit la situation sans issue, et bientôt pourtant, nouveau contraste, ce sont les explosions tumultueuses du dernier acte qui fournissent au malheureux Jean l’occasion d’épuiser sa colère et de la vaincre. Seulement, pour que ces alternatives pussent être acceptées, il faudrait que la pauvre Hélène fût moins digne de sympathie. Le public résiste au poète, quand il voit la victime si maltraitée pendant la plus grande partie du drame ; il trouve qu’elle ne mérite ni ce mépris silencieux, ni cette colère retentissante. Tout cela lui paraît excessif et injuste. Bien plus, à juger la chose au simple point de vue théâtral, on supporte impatiemment cette situation qui reste la même au fond pendant deux actes, et dont la forme n’est modifiée que par