Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/254

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

croissant en intensité et en vitesse. La Germanie envoyait plus d’émigrans que l’empire ne pouvait accepter de soldats. Un jour, en 370, l’empereur Valentinien demanda quelques milliers de Burgondes : il en vint 80,000 ; on jugea prudent de les renvoyer chez eux. Les solliciteurs, en nombreuses bandes armées, se pressaient à la frontière, tendant les bras pour qu’on les admît sur l’autre rive. Il arriva naturellement que ceux qu’on refusait, pressés par la faim plus que par la haine et se sentant nombreux, entrèrent de force. Faute d’être acceptés comme soldats de l’empire, ils se firent, comme pis-aller, soldats contre l’empire. C’est pour cela que l’on vit, durant tout le IVe siècle et le Ve une moitié des Germains défendre la Gaule et l’autre moitié l’envahir.

Ces deux catégories de Germains eurent des destinées bien différentes. Ceux qui se présentèrent en ennemis firent beaucoup de ravages, brûlèrent et saccagèrent beaucoup de villes, mais ne réussirent jamais à s’établir dans le pays. On peut compter ces envahisseurs, et l’on reconnaîtra qu’ils ont passé sans avoir rien laissé d’eux. Il ne resta rien de ces Alamans qui en 259 ravagèrent la Gaule et passèrent ensuite en Italie, où ils disparurent ; rien de ces autres Germains qui profitèrent de la mort d’Aurélien pour piller la Gaule, mais furent ensuite exterminés par Probus ; rien de ces 60,000 Alamans qui furent vaincus par Constance Chlore ; rien de toutes ces bandes qui détruisirent quarante-cinq villes et firent un désert de l’Alsace, mais furent à la fin repoussées et détruites par l’empereur Julien ; rien de ce qu’on appelle la grande invasion de 406, puisque les Vandales et les Suèves, après de grandes dévastations, quittèrent enfin la Gaule pour passer en Espagne et en Afrique, où ils n’eurent pas une longue destinée.

Les Germains qui s’établirent en Gaule et y purent laisser quelque chose de leur sang et de leurs mœurs furent seulement ceux qui y entrèrent à titre de soldats de l’empire. Ce fut, par exemple, cette troupe de lètes saxons qui, cantonnés dans le pays de Bayeux depuis le IVe siècle, s’y perpétuèrent et attachèrent longtemps leur nom à cette contrée[1]. Ce fut encore une troupe d’Alains à qui le gouvernement impérial assigna des terres dans les environs d’Orléans en récompense de leurs services. D’autres sont plus connus : ce sont les troupes des Wisigoths, des Burgondes et des Francs. Ces Wisigoths avaient été admis dans l’empire d’Orient en vertu d’un contrat qui faisait d’eux une armée impériale. Le gouvernement devait fournir à leur entretien par des dons de vivres ou de terres ; ils devaient en retour obéir aux ordres de l’empire. Leur

  1. Ducange, Glossarium latonitatis, au mot otlinga.