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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/255

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titre officiel était celui de fédérés. Le gouvernement disposait d’eux comme de ses soldats ; Théodose, ayant une expédition à faire, du côté de la Gaule, y emmena 20,000 d’entre eux.

Il est bien vrai que cette armée, qui élisait elle-même son chef, n’était pas toujours docile. Elle fit ce qu’avaient fait maintes fois les armées romaines du Rhin et du Danube ; un jour, elle massacra l’empereur Valens, qui ne la payait pas assez ; une autre fois, pour mettre sur le trône le patrice Ruffinus, elle ravagea toute la Grèce. Un peu plus tard, son chef Alaric, peut-être à l’instigation de la cour de Constantinople, se jeta sur l’Italie et la mit au pillage. A sa mort, les mêmes Wisigoths redevinrent une armée impériale aux ordres d’Honorius, dont leur chef était le gendre. Deux compétiteurs se disputaient alors la Gaule, Jovin d’une part, l’empereur Honorius de l’autre. Jovin avait à son service deux troupes de Vandales et de Burgondes ; Honorius lança contre son adversaire les Wisigoths. C’est à titre d’armée impériale et pour le service du prince que ces Wisigoths entrèrent en Gaule et un peu plus tard en Espagne. On leur assigna des cantonnemens et des terres, comme on faisait à toutes les troupes impériales. On aurait bien voulu les disperser ; mais il n’était pas possible de traiter avec chaque Wisigoth individuellement, de donner à chacun une solde et d’exiger de chacun une obéissance personnelle. C’était avec le chef seul qu’il fallait traiter ; c’était lui qu’on payait pour qu’il payât ensuite ses soldats. On lui donna des, villes, Bordeaux, Périgueux, Angoulême, Poitiers, ce qui signifiait qu’on lui donnait les revenus que le fisc impérial tirait de ces villes et le droit de lever une taxe sur les propriétaires fonciers pour la solde de ses hommes. Ainsi cantonnés dans le sud de la Gaule, les Wisigoths furent des soldats fort peu dociles ; ils étendirent, bon gré mal gré, la limite de leurs cantonnemens ; ils en sortirent plus d’une fois pour ravager des provinces. Dans la paix, l’empire avait beaucoup de peine à se faire respecter de ces singuliers sujets ; mais, dès qu’il pouvait leur donner quelque ordre de guerre, il les trouvait tout disposés à le servir. On doit surtout remarquer qu’ils ne manquèrent jamais au devoir de le défendre contre les autres Germains ; longtemps ils se considérèrent comme des sujets de l’empire. Le titre de roi que prenait leur chef n’indiquait pas, dans la langue de ce temps-là, une autorité indépendante. Leur historien Jornandès rapporte que ce fut seulement leur septième roi, Euric, qui eut la pensée de s’affranchir de la sujétion impériale et d’occuper le midi de la Gaule en souverain, jure suo. Cette prétention nouvelle indique bien que jusqu’alors les Wisigoths s’étaient considérés comme des sujets de l’empire. Elle étonna les contemporains ; l’empereur la repoussa et la combattit par la force comme une usurpation.