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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/262

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l’attitude ferme et résignée de MM. Kryger et Ahlmann en face des rires ironiques par lesquels la chambre prussienne a pris l’habitude d’accueillir leurs déclarations, prouve que le dernier mot n’est pas dit dans cette affaire. Les protestations semblent même s’accentuer de jour en jour, à en juger par les résultats des élections. Celles qui eurent lieu en 1867 pour le parlement de la confédération allemande du nord avaient démontré qu’au nord d’une ligne Adelby-Hanvede-Ladelund-Burkal-Hostrup-Daler-Emmerlev, la majorité danoise comprenait les quatre cinquièmes de la population, ses députés ayant réuni 80 pour 100 des votes ; au mois de mars 1870, le nombre des votes dépassa 81 pour 100. Ce résultat est d’autant plus significatif que beaucoup de Slesvigeois ont émigré pour échapper au service militaire et qu’ils ont été remplacés par des Allemands qui prennent part au vote. Pour les chambres prussiennes, les élections ont été renouvelées huit fois en six ans, et chaque fois MM. Kryger et Ahlmann ont obtenu 87 1/2 pour 100 des voix, leurs concurrens n’ayant pu réunir que 12 1/2 pour 100. Enfin les pétitions pour la réunion du Slesvig septentrional au Danemark se succèdent sans relâche ; encore au mois de décembre dernier, une pétition signée par 406 électeurs au second degré (dont 183 du cercle d’Haderslev) a été adressée à la chambre des députés de Berlin, auxquels on a distribué en même temps le pamphlet de M. Edgar Bauer, éloquente et incisive plaidoirie en faveur de ces populations qui ne réclament que leur droit. On se rappelle également l’adresse signée par 27,400 habitans qui fut envoyée à Berlin en 1869. Ces imposantes manifestations ne justifient guère le reproche d’indolence que la Gazette nationale faisait, récemment aux Slesvigeois, qui, disait-elle, « ne fournissaient pas à la presse allemande une base sérieuse pour appuyer leurs réclamations. »

M. Edgar Bauer, dans un vigoureux réquisitoire, dénonce les obscures menées de la politique prussienne qui avaient préparé de longue main les conquêtes de 1866. La Prusse a trouvé dans l’idée allemande un talisman et une arme de combat. L’idée allemande justifie tout, elle est au-dessus du droit. Quel obstacle s’oppose encore à l’exécution de l’article 5 ? Un obstacle tout sentimental : le non possumus des Allemands. Un traité qui gêne le cœur allemand cesse d’être valable. La parole allemande est irresponsable et souveraine. Pareil à Samson, fils de Manué, que l’esprit possède dans le camp de Dan, le Germain demande des cordes neuves qui n’aient point encore servi ; « qu’on l’attache avec ces liens, et il sera faible comme un autre homme. » Mais à peine l’a-t-on lié, que les sept liens neufs tombent à ses pieds. Qu’il prenne garde pourtant que personne ne devine le secret de sa force !


Le directeur-gérant, C. BULOZ.