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détourner pour courir sur Rouen, et ici même ce n’est plus comme en Normandie une certaine confusion agitée, c’est une vraie campagne prudemment, habilement conduite par un chef qui réussit tout au moins à éviter les grands revers, s’il ne peut aspirer aux succès éclatans et décisifs. Je reprends cet écheveau d’opérations compliquées et obscures qui auraient pu devenir funestes aux Allemands, s’il y avait eu à Tours un gouvernement d’organisateurs au lieu d’un gouvernement d’agitateurs.

Manteuffel est le 5 décembre à Rouen. Une fois maître de ce centre de la Normandie, et après avoir laissé respirer un instant ses troupes, il forme des colonnes mobiles qu’il lance un peu dans toutes les directions, sur la rive gauche de la Seine, vers Honfleur, sur la rive droite, vers Dieppe, qu’on occupe bientôt, puis enfin vers Le Havre, la grande place de commerce, objet suprême de la convoitise allemande, qu’on essaie de menacer, qu’on voudrait enlever, qu’on enlèverait peut-être en brusquant une attaque, mais devant laquelle on s’arrête de peur de s’attarder dans un nouveau siège. En étendant l’occupation autour de Rouen, Manteuffel ne laisse pas d’avoir les yeux tournés vers Amiens et le nord, où il peut être à chaque instant rappelé. Ici en effet que se passe-t-il ? Avant de se jeter en Normandie, l’invasion a sans doute pris ses sûretés. Avec Amiens et La Fère, dont la prise est du 27 novembre, elle a, selon le mot du major Blume, « deux excellens points d’appui contre le nord. » Elle possède aussi la petite place de Ham. Si elle avait Péronne, elle serait maîtresse de la forte ligne de la Somme, elle va bientôt l’assiéger. Par la bataille de Villers-Bretonneux enfin, elle s’est assuré de ce côté quelques jours de répit en obligeant la petite armée française du nord à se replier vers Arras. Cette armée cependant, elle est loin d’avoir disparu dans la première épreuve du feu qu’elle vient de subir. C’est au contraire le moment où elle va se constituer définitivement pour reparaître sous un nouveau chef. Ce chef, c’est le général Faidherbe, récemment appelé d’Afrique pour succéder au général Bourbaki et prendre le commandement de toutes les forces françaises du nord.

Ancien élève de l’École polytechnique, officier de génie distingué, esprit studieux et réfléchi, le général Faidherbe était surtout connu pour ses services aux colonies et en Afrique. Désigné dès 1854, quoique simple capitaine, pour prendre le gouvernement du Sénégal, il s’en était tiré avec succès, menant tout à la fois les plus sérieux travaux d’organisation et d’incessantes expéditions de guerre, méritant d’être fait général après neuf ans de cette vie meurtrière pour sa santé. Il avait servi depuis en Algérie, où il employait ses loisirs à étudier les inscriptions numidiques. Au moment de la guerre, il avait désiré être appelé à l’armée du Rhin, on l’avait laissé en