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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/911

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étendue ce paysage de la vallée de la Loire que nous avons décrit dans les pages précédentes. Cette tour est enclavée aujourd’hui dans un parc touffu qui fait partie de la succession du duc d’Uzès ; celui de ses héritiers qui la recevra dans son lot pourra se vanter de posséder un des plus beaux paysages qu’il y ait en France. Quelques autres débris du château, des chicots de muraille, des tronçons de maçonnerie, sont çà et là épars aux environs de la tour, et composent, entourés de lierre et d’herbes grimpantes, une décoration à moitié naturelle, à moitié historique, d’une agréable originalité. Parmi ces débris se trouve un petit enfoncement en forme de cellier surmonté de vertes guirlandes, qu’on peut recommander aux futurs propriétaires pour le cas où il leur prendrait fantaisie de donner dans leur parc des représentations de tableaux vivans, car c’est le plus parfait décor qu’on puisse rêver pour figurer la scène d’Énée et de Didon pendant l’orage. Ainsi les choses les plus sombres du passé deviennent un jeu pour l’avenir et une fête pour l’imagination des générations nouvelles.

Je ne crois pas que le respect et le souci du passé soient au nombre des qualités qui distinguent les habitans de la Nièvre en général, car en nul lieu je n’ai moins senti palpiter cet élément historique qui, dès qu’il existe quelque part, se révèle au promeneur avec une subtilité et une autorité si remarquables ; mais peut-être les habitans de La Charité l’emportent-ils en négligence sur tous les autres groupes de leurs concitoyens. Ils possèdent une église qui est d’une importance historique considérable pour tout le monde, mais qui est pour eux d’un intérêt tout à fait direct, car sans elle leur jolie petite ville, comme dit railleusement Stendhal, ne fût jamais venue au monde. L’existence de La Charité est en effet de même date que cette église, qui fut construite dans la dernière partie du XIe siècle, et qui, dans la première partie du XIIe, servit de centre aux populations éparses dans les environs. Ce n’est pas seulement son existence, c’est aussi son nom que la ville doit à son église, car c’est en reconnaissance des abondantes aumônes que les moines y distribuaient, et que les indigènes, qui à cette époque devaient être bien misérables et bien barbares, venaient y chercher des points les plus éloignés du comté qu’elle fut appelée La Charité. Un souvenir intéressant se rattache encore à l’origine de cette église, celui d’un de ces voyages de la papauté si nombreux depuis Charlemagne, qui, se succédant de règne en règne, habituèrent peu à peu les souverains pontifes à considérer les rois de France comme leurs champions naturels et les rois de France à se considérer comme les tuteurs des papes. Suger, abbé de Saint-Denis et futur régent du royaume, nous apprend, dans sa