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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/912

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Vie de Louis le Gros, qu’en 1107 le pape Paschal II, obsédé par les exigences de l’empereur Henri V, qui faisait revivre les prétentions de son malheureux père relativement aux droits d’investiture par l’anneau et la crosse, prit le parti de s’échapper de Rome et de venir en France conférer avec le roi et les évêques sur les moyens de se soustraire à cette tyrannie. Il fit séjour à Cluny, alors dans toute sa splendeur, et, comme en ce moment l’église abbatiale de La Charité, qui devint une des innombrables filles du célèbre monastère, venait d’être achevée, il fut invité à en faire la dédicace. De nos jours enfin, elle a eu le privilège d’exciter l’intérêt d’un grand nombre d’artistes et de critiques célèbres ; Victor Hugo, pendant sa phase gothique, en a parlé avec admiration, Stendhal et Mérimée en ont signalé l’importance. Eh bien ! ni ces souvenirs augustes, ni ces recommandations des lettrés n’ont eu le privilège de protéger l’église de Sainte-Croix contre la négligence et l’abandon. Horriblement mutilée, elle n’a jamais été qu’incomplètement réparée, et, quand d’aventure elle l’a été, ce n’a jamais été que d’une manière barbare. Le dallage, usé et inégal, présente le spectacle d’une place qui attend depuis trop longtemps les services des paveurs, et pour toute toilette intérieure on s’est contenté de revêtir les piliers et les murailles d’un vilain badigeon blanc qui lui prête l’aspect des salles de caserne ou des écoles publiques. Entièrement nue et dépouillée, elle n’a conservé de toutes les œuvres d’art qui l’embellissaient qu’un des morceaux de sculpture qui formait le tympan d’une de ses tours, et encore ce morceau n’a-t-il échappé à la destruction que pour avoir été remarqué par Mérimée et sur ses sollicitations pressantes. Sous la restauration, on coiffa d’une sorte de chapeau chinois recouvert d’ardoise l’admirable tour qui subsiste encore ; mais les pluies et lèvent ont eu facilement raison de ce frêle couvre-chef, qui, presque mis à nu aujourd’hui et très probablement rongé dans sa charpente, ne pourra manquer, un jour d’aquilon, d’enrichir de quelques hôtes prématurés le cimetière de La Charité.

Certes voilà une coupable incurie ; eh bien ! qui le croirait ? cette négligence a été mieux récompensée que ne l’aurait été le plus soigneux intérêt. Grâce à cette indifférence, la Charité possède un des plus vastes et des plus admirables paysages de ruines qui se puissent voir ; c’est à peine si Rome a quelque chose de plus beau. Le contraste de splendeur et de misère, de hautaine grandeur et de basse familiarité que présente de tant de côtés la ville éternelle revit au complet dans le quartier de La Charité qui va du porche de l’église Sainte-Croix aux restes du château. Les boutiques de verdurières et les ateliers de forgerons percés dans les murailles