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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 1.djvu/398

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on est acclimaté ; au début, on s’établit d’abord dans les lieux déjà peuplés, où il y a des terres fertiles, de grandes usines et manufactures, de grandes capitales, et où le travailleur est sûr de trouver facilement un emploi. Les colons des territoires, des terres vierges, les vrais settlers, se sont pour la plupart d’abord établis dans les états de l’Atlantique ; n’ayant pas réussi, mécontens de leur sort, ils vont en avant chercher fortune, laissant la place à ceux qui viennent derrière eux ; le flot des jeunes pousse le flot des vieux, et ainsi se peuplent successivement les États-Unis sur toute leur immense étendue. Depuis un siècle se fait le grand exode des pionniers au cri légendaire de westward, ho ! en avant, à l’ouest ! Il est à remarquer également que les immigrans ne se dirigent pas volontiers vers les anciens états à esclaves ; le travail en commun, tel qu’il est encore pratiqué dans la culture de ces états, ne convient guère à des hommes libres, et qui veulent rester tout à fait indépendans.

Relativement au métier qu’ils exercent, les arrivans se distribuent ainsi : environ un dixième sont cultivateurs (farmers), un autre dixième, ouvriers industriels ou artisans proprement dits (mechanics), — ferblantiers, forgerons, menuisiers, charpentiers, maçons ; — deux dixièmes, ouvriers pour tout faire ou hommes de peine (laborers) ; enfin les six dixièmes restans, sauf de rares exceptions, sont portés comme n’ayant pas d’occupation définie, n’ayant appris aucun métier.

Sur le nombre total des immigrans, la proportion des femmes est d’un tiers plus faible que celle des hommes ; ainsi l’on compte environ 200 femmes pour 300 individus mâles. Quant à l’âge des immigrans, près de 50 pour 100 ont entre vingt et trente-cinq ans, le meilleur âge pour émigrer, pour faire souche de citoyens et jouir encore du lendemain. Notons en passant que 15 pour 100 ont moins de dix ans, 25 pour 100 de dix à vingt ans, et 10 pour 100 seulement plus de quarante ans. On n’émigre guère quand on est près de compter ou que l’on compte au-delà d’un demi-siècle ; alors on ne rompt pas volontiers avec la patrie, l’amour du clocher, les habitudes, et l’on a eu le temps du reste de se faire une position et d’acquérir en général ce bien-être que l’émigrant va chercher au-delà des mers, et qu’il rencontre presque toujours aux États-Unis.

L’immigration est la grande richesse de l’Amérique du Nord. Non-seulement on calcule que chaque immigrant, comme travailleur, comme capital humain, s’il est permis d’ainsi parler, représente par lui-même au moins la valeur à laquelle on estimait moyennement le nègre esclave, c’est-à-dire 1 000 dollars ou 5 000 francs (et ici l’on ne tient pas compte de la somme que chaque passa-