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Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 1.djvu/955

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confusion et dans l’agitation des partis. Or ici précisément s’élève la question la plus grave et la plus délicate. Rien n’est plus commode que de vivre à Versailles, de nouer des combinaisons, de menacer le ministère ou de se livrer à toute sorte de discussions oiseuses en se disant qu’on a le temps, que rien n’est pressé. Malheureusement on semble oublier que nous vivons dans les conditions les plus extraordinaires qui aient pu jamais être faites à une grande nation, qu’un pays qui a besoin d’une certaine fixité pour son travail, pour tous ses intérêts, ne peut cependant rester toujours à la merci des transactions, des agitations ou des mécomptes irrités des partis.

Il y a trois ans maintenant, trois ans depuis deux jours, que l’assemblée qui est à Versailles s’est réunie pour la première fois à Bordeaux. Née dans les circonstances les plus terribles, elle n’avait point reçu sans doute une mission précise et limitée. Elle était envoyée pour faire face à tout, pour arracher la France à toutes les extrémités qui la menaçaient ; mais enfin, si large, si étendu que fût son mandat, elle n’a point été créée évidemment pour rester une souveraineté permanente et indéfinie, pour jouer le rôle d’un long parlement. Elle avait surtout pour mission de rendre à la France la paix et des institutions fixes, un gouvernement régulier. Avec M. Thiers, elle a donné la paix, elle a délivré le territoire, elle a rendu un immense, un patriotique service. Si maintenant, au lieu d’organiser le pays, l’assemblée s’épuise en luttes stériles, si, au lieu de mettre fin au provisoire, elle n’est occupée qu’à le reproduire et à l’aggraver sous toutes les formes, si on en est à ce point d’impuissance ou de périlleuse confusion, qu’on y prenne bien garde, il n’y aura plus bientôt qu’une issue, la dissolution. Ce ne sont pas les radicaux qui auront obtenu cette victoire, c’est la droite elle-même qui aura préparé ce dénoûment inévitable en reculant devant une œuvre que les circonstances lui imposent et que le pays attend, que l’assemblée actuelle aurait pu accomplir dans l’esprit le plus conservateur et qu’elle laisserait inachevée ou livrée à toutes les chances de l’inconnu. C’est là en définitive toute la question sur laquelle les esprits prévoyans doivent appeler l’attention de l’assemblée elle-même.

Si l’on veut en arriver là, on n’a qu’à continuer, la route est ouverte, on sera bientôt au bout. Si l’on veut échapper à cette extrémité d’une dissolution qui serait prématurée, qu’on ne pourrait proposer à une grande assemblée tant qu’on n’a pas pourvu aux plus pressantes nécessités de l’organisation du pays, il faut s’arrêter, il faut dissiper ces équivoques qui pèsent sur les esprits comme sur les intérêts, qui feraient croire à une réticence permanente, préméditée, dans la politique française. On ne peut pas rester dans cette incertitude, où le pouvoir le plus élevé a toujours l’air d’être mis en doute soit directement par les contestations les plus audacieuses de l’esprit de parti, soit indirectement par le