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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/291

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LE MAJOR FRANS.

— Et si elle refuse de venir ?

— Oh ! vous faites tant de difficultés… Ah çà ! est-ce que par hasard ?.. Je croyais que Frances Mordaunt avait plus de goût pour commander un bataillon que pour s’incliner sous le joug du mariage… Enfin, souvent femme varie… Ainsi vous seriez l’heureux mortel ?..

— Trêve de suppositions, lui dis-je d’un ton ferme, je ne suis ici qu’un parent, un petit-neveu, Léopold de Zonshoven, en séjour chez son grand-oncle…

— Tiens ! et moi je suis… parent de votre grand-oncle. Frances ne refusera pas de venir me trouver, je vous l’affirme, surtout si vous lui déclarez de ma part que je ne viens pas lui demander d’argent ; au contraire, j’en apporte. — Et il me montra un portefeuille ouvert, qui contenait, autant que je pus voir, des billets de banque étrangers.

Je n’hésitai plus. Il y avait là un mystère nouveau qui me rejetait dans mes perplexités et qu’il fallait éclaircir à tout prix. J’étais aussi soutenu par le vague espoir que celui-ci expliqué achèverait de m’édifier sur tout le passé de Frances. Je quittai ma chambre en ayant soin de la fermer à clé par dehors et je m’acheminai vers la chambre de Frances, où je savais qu’elle devait s’être retirée, mais où je n’avais jamais osé pénétrer. Je frappai doucement, elle me dit d’entrer. — Il arrive une singulière chose, ma cousine, lui dis-je d’un ton qui trahissait quelque inquiétude.

— Ce n’est pourtant pas un malheur que vous venez m’annoncer.

— Non, mais une visite qui peut-être ne vous sera pas agréable.

— Une visite à cette heure ? et qui donc ?

— Quelqu’un qui dit être de votre famille et refuse de se donner un autre nom que celui de Rudolf.

Ses sourcils se froncèrent. — Mon Dieu ! le malheureux ! encore ici !

Je lui racontai comment il était entré dans ma chambre, en me mettant à ses ordres pour le faire déguerpir sur un signe d’elle.

— Non, point de bruit, me dit-elle avec agitation, mon grand-père ne doit se douter de rien. Je vous suis, Léopold ; cette fois, je vous en prie, laissons de côté les formes. Comment a-t-il le front de se représenter ici ! Je ne puis plus rien faire pour lui. Vous resterez près de moi, n’est-ce pas ?

Je lui pris la main et la conduisis dans ma chambre. Budolf était à moitié assoupi sur le sofa ; quand il vit Frances debout devant lui, il se leva comme pour l’embrasser, mais elle recula et se borna à lui tendre froidement la main. 11 n’en parut pas choqué, mais il avait perdu son ton d’assurance. — Je comprends bien, Frances,