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qui témoigne des garanties mutuelles qu’elles ont stipulées. » Et l’ambassadeur ajoute que cette conviction commence à s’imposer à bien des esprits, à lord Loftus notamment, son collègue d’Angleterre, demeuré longtemps très incrédule à cet égard. « Sa manière de voir s’est sensiblement modifiée, et il n’est pas moins persuadé que d’autres membres du corps diplomatique qu’il a été pris des arrangemens éventuels entre les deux gouvernemens du roi Guillaume et de l’empereur Alexandre. J’en ai, pour ma part, trouvé la démonstration permanente, si je puis m’exprimer ainsi, dans la résolution bien arrêtée, et qui n’a jamais varié, du cabinet de Berlin de préparer l’union allemande en attendant de pouvoir y substituer l’unité à son profit exclusif sans s’en laisser détourner un instant par l’éventualité d’un conflit avec la France. J’en ai vu également la preuve dans le soin avec lequel M. de Bismarck évite de s’expliquer sur la question d’Orient. Quand on l’interroge, il répond qu’il ne lit jamais la correspondance des ministres du roi à Constantinople, et votre excellence n’aura pas oublié avec quelle complaisance il s’est toujours prêté aux vues du prince Gortchakof. » M. Benedetti signale aussi « l’impulsion nouvelle imprimée depuis l’été dernier à la propagande panslaviste ; » il indique très bien les desseins vastes et les espérances lointaines du cabinet de Saint-Pétersbourg dans sa connivence avec la Prusse, et donne en général de la politique russe à cette époque une idée plus haute et plus juste que certains panégyristes malavisés de nos jours qui, pour bien prouver que le prince Gortchakof a rempli son rôle aussi complètement que possible et avec tout le succès désirable, n’imaginent rien de mieux que de rapetisser ce rôle et de le rétrécir.


II.

C’est le propre de toute louange de convention de forcer non-seulement le ton, mais de se tromper même parfois de note; il y a dans l’encens parfum et cendres, disaient les anciens, et il y a bien de l’équivoque aussi dans la manière courante de féliciter le chancelier russe de son « triomphe » dans la question de l’Euxin. Prétendre que le prince Gortchakof n’ait favorisé les desseins audacieux de la Prusse qu’en vue d’affranchir la Russie de ses liens dans la Mer-Noire, qu’il ait livré d’avance le monde à M. de Bismarck dans le seul espoir de répudier un jour pour son compte l’acte de 1856, c’est là au fond faire aussi peu d’honneur à son génie qu’à son patriotisme. Certes l’homme d’état éminent dont les petits-fils de Washington venaient, dans l’année de Sadowa, célébrer à Saint-Pétersbourg le « regard prophétique » en suppliant le Dieu éternel