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cette harangue, qui fait penser à celle du paysan du Danube : « Nos princes d’Allemagne nous accablent d’une telle sévérité, les impôts et la servitude sont si lourds, que nous préférons la mort à la vie. Tous les jours, on nous pressure jusqu’à nous faire rendre l’âme. Comment voulez-vous que nous remplissions les devoirs qui nous sont imposés par la religion nouvelle, nous que tous les jours on contraint à la fuite! Si seulement il y avait un lieu où l’on pût chercher un refuge! Mais à quoi bon passer la Trawe? Les mêmes malheurs nous attendent au-delà de cette rivière. Ils nous attendent au-delà de la Peene. Il ne nous reste plus qu’à nous confier aux flots de la mer et à vivre sur l’abîme... »

Rien de plus monotone ni de plus lugubre que l’histoire des événemens qui se succèdent à la frontière orientale de l’Allemagne du nord, depuis la révolte qui a suivi la mort d’Otton le Grand. Les Sorabes, il est vrai, demeurent soumis aux margraves de Misnie; mais les Wiltzes et les Obotrites défendent avec une admirable obstination leurs dieux et leur liberté, jusqu’à ce qu’il se présente au début du XIIe siècle un concours de circonstances qui leur est fatal. Presque partout autour d’eux le paganisme a été vaincu par les efforts de la prédication chrétienne ; les Danois convertis sont désormais les propagateurs zélés de la foi qu’ils ont si longtemps combattue; les Tchèques et les Polonais ont reçu le baptême : l’influence chrétienne pénètre donc chez les Wiltzes et les Obotrites de tous les côtés à la fois. Les Obotrites cèdent les premiers : il est remarquable que la résistance ait duré le plus longtemps chez les Wiltzes, c’est-à-dire dans le Brandebourg. Le sable de cette plaine a bu bien du sang, bien du sang a rougi les lacs de la Havel et les canaux du Spreewald avant qu’une conquête définitive posât sur la rive droite de l’Elbe la première pierre de la monarchie prussienne !

En face des Wiltzes veillaient sur le territoire allemand les margraves du nord, comme les ducs de Saxe en face des Obotrites, et les margraves de Misnie en face des Sorabes. Placé entre eux, mais bien moins puissant qu’eux, le marchio aquiîonalis, comme on appelait le margrave du nord, commandait une étroite bande de territoire, sur la rive gauche de l’Elbe, entre l’embouchure de l’Ohre et celle de l’Aland, deux petits affluens du grand fleuve. Il n’était pas de taille à contenir ses turbulens voisins, et son nom n’est guère associé qu’au souvenir de désastres subis par les armes allemandes, jusqu’au jour où l’empereur Lothaire II donna l’investiture de la Marche au comte ascanien Albert l’Ours. C’était en 1134. L’avènement des Ascaniens doubla la force de la Marche, car cette famille possédait sur les dernières pentes orientales du Harz nombre de fiefs, et des châteaux-forts; parmi ces châteaux