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était celui d’Aschersleben, appelé en latin Ascaria et par corruption Ascania, d’où est venu le nom qu’Albert l’Ours et ses successeurs ont illustré.

Albert fut un des plus rudes batailleurs d’un temps fertile en héros. Il prodigua les coups d’épée sur le chemin de Rome, en compagnie de Lothaire et de Barberousse, dans ces singulières expéditions où les chefs du saint-empire se frayaient une voie sanglante jusqu’à l’église du couronnement; en Bohême, où il vit tomber tous les siens autour de lui, quand le duc Sobislav surprit dans la montagne et fit capituler l’armée allemande; en Saxe, où il disputa l’étendard ducal à Henri le Lion, cet autre héros du XIIe siècle; au-delà de l’Elbe enfin, où il prit part à une croisade prêchée par saint Bernard contre les Wendes. Chose singulière pourtant, c’est par politique plutôt que par force que le margrave réussit à établir sa domination sur la rive droite de l’Elbe. Au pied d’une colline, haute de 66 mètres, ce qui est une merveille en ce pays plat, entre les lacs formés par la Havel, et sous les bois qui en couvraient les rives, était cachée Brandebourg, l’humble capitale d’une tribu des Wiltzes. Le petit prince qui y régnait, — il avait nom Pribislaw, — s’était fait chrétien, au milieu de ses sujets demeurés idolâtres; il avait bâti une chapelle et fait quelques tentatives de prosélytisme. Pour être soutenu dans cette entreprise, qui n’était pas sans périls, il entra en relations avec Albert, qu’il fit son héritier. A la mort du Wende, le margrave, prévenu par sa veuve, prit possession de l’héritage; mais, distrait comme il était par mille soucis, il le garda mal. Une révolte éclata; il dut la réprimer : Brandebourg, assiégé l’hiver sur la glace de ses étangs et de ses fleuves, capitula quand le froid et la faim eurent fait tomber les armes des mains de ses défenseurs, et le margrave du nord, définitivement vainqueur, prit le titre de margrave de Brandebourg. C’est un événement que l’apparition de ce nom dans l’histoire : les ancêtres du roi de Prusse, empereur d’Allemagne, le portaient encore, il y a moins de deux siècles.

Albert l’Ours, conquérant d’une ville slave, restaurateur des évêchés de Brandebourg et de Havelberg, jadis érigés par Otton le Grand et détruits aussitôt après lui, a toutes les apparences d’un héros chrétien et allemand : les historiens amis de la Prusse, et qui attribuent à ce pays une mission allemande et chrétienne, n’ont pas manqué de s’y laisser prendre; mais la vérité historique ne s’accommode pas de ces illusions volontaires. Ni l’Allemagne, ni aucun état allemand n’a eu la volonté de continuer la tradition carlovingienne. En effort sérieux aurait eu raison des dernières résistances du paganisme wende, enveloppé, comme on a vu, par des états chrétiens, excepté au nord-est, où la Poméranie gardait le culte de