Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 12.djvu/584

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le coton d’Égypte est fin, souple et soyeux ; il est recherché et apprécié, mais il n’est pas absolument indispensable. Or depuis quelque temps les consommateurs européens avaient remarqué une grande irrégularité dans la quantité des assortimens exportés d’Alexandrie. Avant de manifester leur mécontentement, les filateurs crurent devoir attendre. Le mal n’ayant fait qu’empirer, ils se sont plaints. Dans le courant du mois de juin 1874, une adresse signée des principaux industriels cotonniers de Bolton était présentée à lord Derby avec prière de la communiquer au khédive d’Égypte. On signalait dans ce document la détérioration graduelle du coton égyptien, et on annonçait que, si des mesures efficaces n’étaient pas prises, les consommateurs seraient forcés d’abandonner l’usage des produits de la vallée du Nil. Tous les filateurs anglais se sont joints à leurs collègues de Bolton. Ce qui confirme la légitimité de leurs plaintes, c’est que leurs confrères d’Alsace et de Suisse s’étaient mis les premiers en campagne.

Depuis deux ou trois ans en effet, les industriels de ces pays avaient reconnu une altération notable dans le classement des cotons qui leur étaient adressés, et vers la fin de 1872, à la suite de diverses réunions des intéressés tenues à Zurich et où siégeaient des délégués alsaciens, les filateurs assemblés résolurent de ne payer dorénavant que les 90 pour 100 des factures, laissant le solde, soit 10 pour 100, comme garantie à régler après l’arrivée de la marchandise. Il faut dire ici que, depuis l’invention du télégraphe électrique, c’est le fil qui transmet les offres fermes aux consommateurs de coton par simple désignation de classement, prix franco à bord, et de quantité. Cette voie de correspondance est coûteuse et forcément sobre de détails ; les échantillons ne suivent pas les offres, il faut s’en rapporter au type, à la bonne foi, c’est-à-dire au génie commercial des intermédiaires, et payer par acceptation de traites tirées souvent avant le départ du coton. Ainsi le filateur mal servi par son agent se trouvait en face d’une partie de coton inférieur au type désigné et déjà payé ; quelle ressource lui restait-il pour avoir raison d’un intermédiaire récalcitrant ou de mauvaise foi ? Celle d’un recours aux tribunaux égyptiens, remède deux fois pire que le mal.

La résolution prise ne pouvait être un ultimatum. On se fit de mutuelles concessions : les traites sur crédits ouverts continueraient à être formées pour le total de la facture, mais les tribunaux de Zurich connaîtraient des différends avec recours à la voie arbitrale le cas échéant ; c’était le plus court. Malgré cet arrangement, les classifications n’ont pas changé. Si les plaintes des industriels suisses et alsaciens ne se sont pas encore reproduites, il faut l’attribuer à la lassitude : on accepte trop souvent comme