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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 12.djvu/926

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libérales et nationales. Des complots avortés, des insurrections, presque aussitôt étouffées que tentées, témoignaient de l’impatience avec laquelle les hommes les plus éclairés et les plus honorables subissaient cette tyrannie inquiète et policière : beaucoup de ceux qui auraient pu faire le plus d’honneur à leur pays étaient en prison ou en exil ; les autres vivaient sous une menace perpétuelle. Les moins malheureux, c’étaient encore ceux qui s’étaient décidés à chercher ailleurs l’emploi de leurs énergies et de leurs talens. On se rappelle en France les noms des Santa-Rosa, des Libri et des Rossi, des Malaguti et des Ferrari ; l’Angleterre se souviendra toujours de Panizzi. Né en 1797 dans le duché de Modène, Panizzi était avocat à Parme quand éclatèrent les troubles de 1821 ; affilié au carbonarisme, il prit part au soulèvement, fut arrêté à Crémone, mais réussit à s’enfuir et à débarquer en Angleterre. Il commença par gagner assez péniblement sa vie à Liverpool en donnant des leçons d’italien ; mais il eut bientôt la chance de rencontrer Roscoe, l’historien de Léon X et de Laurent de Médicis, qui l’apprécia, l’employa comme secrétaire et le présenta à lord Brougham ; celui-ci le mit en relation avec lord Palmerston, auquel il rendit plus d’un service par sa connaissance des choses italiennes et les rapports qu’il entretenait avec les hommes les plus marquans de la péninsule. La sagacité de cet esprit très délié se trouvait fort à l’aise dans la politique, et lui permit de donner plus d’une fois d’utiles et discrets conseils. Grâce à ces puissans protecteurs, la situation de l’exilé s’améliora rapidement. Quand l’université de Londres fut fondée en 1828 par Brougham, Stuart Mill le père, George Grote et autres libéraux de l’école de Bentham, pour réagir contre l’intolérance dogmatique qui régnait encore à Oxford et à Cambridge, il y fut appelé à la chaire de littérature italienne. En 1831, il entrait au Musée-Britannique, et en 1837 il y devenait conservateur des imprimés. Il porta dans ces fonctions une intelligence, une activité, c’est trop peu dire, une passion qui, avant même qu’il ne fût au premier rang, en firent l’homme important du musée. Son idée fixe, c’était d’arriver à mettre la bibliothèque nationale de l’Angleterre au-dessus de celle de la France. C’était là le thème qu’il développait sans cesse dans ses conversations avec les hommes politiques dont il était l’ami, c’était celui qu’il recommandait au patriotisme de la presse, et cette perspective n’était pas faite pour déplaire à l’orgueil anglais. Après son entrée en charge, Panizzi avait eu à diriger une longue et difficile opération ; de Montagu-house, qui tombait pièce par pièce sous la pioche, il avait fait transporter tous les livres dans les bâtimens neufs. Une fois ce déménagement terminé, il s’occupa d’obtenir de larges crédits pour