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paraître bien informés, critiques et journalistes, se mirent en campagne. Tout ce qu’ils rapportèrent de leur enquête, ce fut que le pseudonyme de George Sand cachait une femme encore très jeune, d’allures bizarres, qui demeurait dans une maison du quai Saint-Michel, s’habillait souvent en homme et fréquentait les cabinets de lecture et les cafés du quartier latin. Qui était-elle ? d’où venait-elle ? Elle ne paraissait pas disposée à le dire, et il n’était guère facile de le savoir. Ce peu de renseignemens était de nature à piquer la curiosité plutôt qu’à la satisfaire ; mais, à quelque conjecture qu’on pût se livrer, personne assurément ne se serait avisé de supposer que dans les veines de cette jeune femme coulait le sang d’un des plus illustres guerriers du XVIIIe siècle, qu’elle comptait de proches pareils au sein de la société la plus élégante, et qu’elle s’était en quelque sorte échappée d’un milieu aristocratique et provincial pour venir à Paris avec sa fille tenter la fortune et vivre de sa plume. Les origines et les premières années de George Sand ont été depuis cette date mises en pleine lumière par la publication de ses Mémoires, dont sept volumes sur dix sont consacrés à l’histoire de sa famille et de sa jeunesse. On nous saura gré de puiser sans scrupule à cette source abondante en demandant d’abord à la race dont elle est sortie et à l’éducation qu’elle a reçue l’explication de cette étrange nature et les secrets de ce vigoureux talent.

Vers le milieu du XVIIIe siècle vivaient à Paris, dans une petite maison des champs située chaussée d’Autin, deux dames de l’Opéra (comme on disait alors), les demoiselles Verrières, de leur vrai nom Geneviève et Marie Rinteau. Ces dames menaient une vie fort élégante dont les jeunes seigneurs de la cour faisaient les frais. Geneviève puisait de préférence dans la bourse du duc de Bouillon, dont elle eut un fils, connu plus tard sous le nom de l’abbé de Beaumont ; Marie dans celle du maréchal de Saxe, dont elle eut une fille, baptisée sous le nom d’Aurore en souvenir de la belle Aurore de Kœnigsmark, mère de Maurice de Saxe. Lorsque l’enfant vint au monde, un bourgeois complaisant, le sieur Jean-Baptiste de La Rivière, accepta la responsabilité de sa naissance ; mais, lorsqu’elle eut quinze ans, un arrêt du parlement prononça la rectification de son acte baptistaire et ordonna que sur les registres de la paroisse de Saint-Gervais et Saint-Protais elle serait portée comme « fille naturelle de Maurice, comte de Saxe, maréchal-général des camps et armées de France. » Cette enfant fut l’aïeule de George Sand, qui se trouvait ainsi de par arrêt du parlement en possession régulière d’une filiation irrégulière, et, comme elle le disait avec une certaine fierté, « d’une manière illégitime, mais fort réelle, proche parente de Charles X et de Louis XVIII. »