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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 25.djvu/735

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De son illustre père, Aurore de Saxe n’avait conservé d’autre souvenir, sinon qu’un jour, celui-ci ayant voulu l’embrasser au milieu d’un dîner, elle avait reculé parce qu’il exhalait une forte odeur de beurre rance. Maurice en effet s’occupa peu de l’enfant à laquelle il avait laissé donner le nom de sa mère, et sa fille ne paraît lui avoir ressemblé en rien. Mais le phénomène bien connu en histoire naturelle de ces ressemblances inopinées qui rapprochent entre eux, à l’intervalle de deux ou trois générations, les descendans d’une même race, n’est pas rare non plus dans l’histoire littéraire, et ce n’est pas céder à l’attrait des rapprochemens forcés que de reconnaître à quelques indices le véritable aïeul de George Sand dans ce guerrier au tempérament fougueux et à l’imagination aventureuse. En parcourant les œuvres du maréchal de Saxe, il est impossible de ne pas être frappé de certaines hardiesses dans la pensée et dans l’accent dont on retrouvera plus tard comme un écho dans la bouche de son arrière-petite-fille. Assurément celle-ci n’eût point désavoué cette définition de la société qu’on trouve sous la plume du maréchal : « un assemblage d’oppresseurs et d’opprimés où quelques hommes riches, oisifs et voluptueux font leur bonheur aux dépens d’une multitude. » À certaine époque de la vie, ne se serait-elle point volontiers passionnée pour cette singulière théorie du mariage qu’il développe dans son Traité sur la propagation de l’espèce humaine : « Je suis persuadé que l’on sera un jour obligé de faire quelque changement dans la religion à l’égard du mariage… Il faudrait établir par les lois qu’aucun mariage à l’avenir ne se ferait que pour cinq années, et qu’il ne pourrait se renouveler sans dispense, s’il n’était né aucun enfant pendant ce temps… Tous les théologiens du monde ne sauraient prouver l’impiété de notre système, parce que le mariage n’est établi que pour la population. » Enfin n’eût-elle point applaudi à la conclusion de ce passage des Rêveries, où Maurice de Saxe, après avoir examiné les différens modes de recrutement des armées, termine en disant : « Ne vaudrait-il pas mieux établir par une loi que tout homme, de quelque condition qu’il fût, serait obligé de servir son prince et sa patrie pendant cinq ans ? Cette loi ne saurait être désapprouvée, parce qu’elle est naturelle, et qu’il est juste que tous les citoyens s’emploient pour la défense de l’état… Il faudrait n’en excepter aucune condition, être sévère sur ce point, et s’attacher à faire exécuter cette loi de préférence aux nobles et aux riches : personne n’en murmurerait. Le pauvre bourgeois serait consolé par l’exemple du riche, et le riche n’oserait se plaindre en voyant servir le noble. » Il a fallu plus d’un siècle pour faire adopter par toute l’Europe le système démocratique préconisé par Maurice de Saxe ;