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Tout autre est le point de vue du saint-siège : il ne saurait sans se trahir lui-même laisser confisquer la papauté au profit de l’Italie. Ce serait là pour lui une sorte de suicide, une déchéance autrement grave que la perte de sa couronne temporelle. Toute alliance. de l’Italie et du siège apostolique semblerait, en dehors de la péninsule, l’asservissement de l’autorité spirituelle. Et, qu’on le remarque bien, le saint-siège ne doit pas seulement se garder de toute intimité, de tout connubio avec la nouvelle Italie, il est contraint de fuir toute apparence de complaisance et de dépendance vis-à-vis de l’état, dont sa résidence est devenue la capitale. Ce n’est qu’à ce prix que la papauté sera sûre de maintenir l’unité de l’église, d’échapper aux schismes nationaux dont certains penseurs ont fait la conséquence inévitable de la chute de la royauté pontificale[1].

Rien de plus erroné à cet égard que les appréhensions des politiques du Nord des Alpes ou les calculs des disciples de Gioberti (s’il en reste encore en Italie), quand ils croyaient que, une fois dépouillée de sa souveraineté temporelle, la chaire de Saint-Pierre tomberait bientôt sous la domination du gouvernement civil. Les événemens montrent déjà le contraire et ne cesseront de l’attester. Le fait de demeurer en Italie sur le territoire d’une royauté laïque, sous l’apparente sujétion d’un monarque national, oblige la papauté à fuir plus que jamais tout ce qui pourrait lui donner les dehors d’une institution nationale, dirigée par des vues et des intérêts nationaux. Plus les papes sembleront dans la dépendance matérielle de l’Italie, plus ils devront, par leurs actes ou leur langage, s’en montrer indépendans. Moins ils auront de force effective pour résister à la pression politique du souverain temporel de Rome, plus ils seront tenus de se montrer susceptibles à tout empiétement de sa part. Moins il leur restera de chances de recouvrer leur royauté temporelle, plus ils se sentiront désarmés vis-à-vis des nouveaux maîtres de la ville éternelle et plus les chefs de l’église auront à cœur de faire voir à tous qu’ils ne sont ni les serviteurs, ni les complaisans du pouvoir dont ils se proclament les captifs. Quelle est la plus répandue des objections populaires, quel est le plus commun des argumens politiques contre l’église et le clergé ? C’est qu’ils servent un pouvoir étranger. Combien plus fondé, combien plus redoutable serait ce banal reproche si, aux yeux des autres peuples, la papauté semblait liée à une grande monarchie !

Pour qui veut y réfléchir, loin d’être disposée à plus de condescendance vis-à-vis des maîtres du sol romain, la curie romaine sera toujours tenue à plus de fierté, à plus de défiance, à plus de

  1. M. Renan en particulier.