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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/136

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froideur à leur égard. Les souvenirs de la royauté temporelle des papes seraient évanouis, toute espérance de la rétablir, sous une forme au sous une autre, serait abandonnée que cela ne suffirait pas pour rendre bienveillantes et faciles les relations du saint-siège et de la monarchie unitaire. Il resterait entre eux une autre cause de froissement, une autre barrière : le besoin pour la papauté, dépouillée de sa couronne terrestre, d’affirmer aux yeux de tous son indépendance morale, sa liberté d’action, sa souveraineté spirituelle, le besoin, en un mot, de ne pas sembler sacrifier le monde à la péninsule et orbem Urbi. Le pays où le saint-siège a sa résidence traditionnelle sera fatalement celui auquel les papes témoigneront d’habitude le moins de condescendance. Leur déchéance temporelle et leur faiblesse matérielle les obligeront à se montrer plus raides et plus exigeais. Dans la vie ordinaire, les personnes qui, par leur fortune ou leur position, semblent dépendre d’autrui, sont souvent les plus difficiles, les plus susceptibles ; elles sentent un continuel besoin de faire acte d’indépendance et de dignité. Ainsi, dans l’avenir, la papauté dépossédée vis-à-vis de ses vainqueurs de 1870. Un pontife interné dans le Vatican et captif apparent de l’Italie ne saurait concéder, à ceux qu’on pourrait prendre pour ses maîtres ou ses geôliers, ce qu’il accorderait librement à des étrangers sans prise matérielle sur lui.

Contrairement au rêve de Gioberti et de maints patriotes de 1848, la reconstitution de l’Italie en nation indépendante, l’unification de la péninsule, auront tôt ou tard pour conséquence l’affaiblissement de l’influence italienne et de l’élément italien dans l’église. C’est là, pour nous, un des résultats les plus certains de la chute de la royauté pontificale. En devenant ou en risquant de devenir sujette de l’état italien, la papauté se fera de moins en moins italienne ; elle ne restera romaine que dans le sens impérial et antique. Le saint-siège redeviendra plus universel, plus œcuménique, plus catholique au sens grec du mot. On commence déjà à s’en apercevoir. Déjà Léon XIII a nommé proportionnellement plus de cardinaux étrangers qu’aucun de ses prédécesseurs. La transformation sera lente, la papauté étant trop vieille, l’église vivant trop d’habitudes et de traditions pour ne pas répugner aux changemens brusques. L’évolution ne s’en effectuera pas moins ; elle serait déjà plus marquée si elle n’était retardée par les prétentions mêmes du Vatican, par ses espérances de restauration temporelle. L’élection d’un étranger au trône pontifical serait aujourd’hui interprétée comme un abandon des revendications du saint-siège. Quoi qu’il en soit, on peut prévoir le temps où le sacré-collège et les papes eux-mêmes cesseront d’être Italiens pour appartenir à toutes les nations. Ce qui depuis trois siècles, faisait toujours élire des Italiens, ce n’était pas