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extraordinaires fournirent des sommes moins considérables que les années précédentes. On peut dire que la guerre se fit à crédit : elle coûta au moins un tiers de plus que si les revenus eussent été libres et des fonds ; assurés ; elle coûta plus encore à mesure que les papiers donnés en paiement s’avilirent[1].

Au commencement de 1707, la crise financière, monétaire, commerciale avait tellement troublé l’esprit de Chamillart que, ne pouvant acquitter à leur échéance les obligations du trésor, il ne comprenait plus que les négocians continuassent à faire honneur à leurs engagemens. Un banquier de Lyon, sur lequel une lettre de change de 150,000 livres avait été tirée pour fournir des fonds à l’armée d’Italie, lui ayant demandé comment il serait remboursé de cette avance, il répondit (le 27 mars) : « … Je vous avouerai naturellement que la grande exactitude dont vous êtes et qui a établi votre crédit parmi les étrangers et les bons négocians dû royaume, quoiqu’elle ne soit pas blâmable, ne laisse pas d’être bien dangereuse dans un temps comme celui-ci. » Et, en lui faisant parvenir sa lettre par l’intermédiaire de l’intendant, il écrivait, en particulier, à celui-ci : « La grande exactitude d’un banquier accrédité, qui dans un temps de paix doit le faire canoniser, est un mal pour l’état dans celui-ci. Je m’explique dans des termes moins naturels avec le sieur P. ; je verrai par la manière dont il répondra à mes demandes si les idées que l’on m’a données de lui sont fausses ou véritables. Tout bon négociant et tout banquier sera pour lui ; je ne suis point surpris que vous ayez pris ce même esprit depuis que vous êtes à Lyon, au milieu de gens de commerce. S’ils avoient été dans d’autres sentimens, ils auroient épargné bien de l’argent au roi et les billets de monnaie se seraient soutenus[2]. » Chamillart regrettait que, dans des conjonctures si graves, les banquiers ne soutinssent pas l’état de leur crédit, et il leur demandait de le détruire eux-mêmes en suivant l’exemple du trésor.

Au 1er janvier 1708, l’état devait 72 millions en billets de monnaies, 54 millions 1/2 en billets des receveurs et des fermiers-généraux, 60 millions 1/2 en promesses de la caisse des emprunts ; et les billets des trésoriers de l’extraordinaire montaient à près de 62 millions. La guerre, poursuivie avec vivacité, ne permit pas de commencer les remboursemens qui avaient été annoncés, et il fut plus impossible encore d’y songer en 1709. Mais on sait déjà que l’arrivée de 30 millions de-lingots, venant de la mer du Sud et achetés par l’état, fit ordonner une refonte générale des monnaies, dont

  1. Forbonnais, t. II, p. 165.
  2. Correspondance du contrôleur-général avec les intendans, t. II, no 1214.