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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/68

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En même temps qu’elle envoyait à l’armée des commandemens sans réplique, elle faisait répandre dans toute l’Allemagne, sous la forme ordinaire, des rescrits de sa chancellerie, de véritables proclamations qui, si elles étaient mises aujourd’hui dans sa bouche par un romancier de nos jours, paraîtraient un anachronisme, tant elles ressemblent aux expressions les plus récentes du patriotisme germanique. Depuis que Frédéric s’était retiré sous sa tente, on ne voyait plus en présence que des Allemands et des Français ; la reine profitait habilement de ce tête-à-tête pour soulever les ressentimens populaires. « Combien de temps, disait-elle, laisserait-on l’étranger fouler le sol de la chère patrie allemande ? Est-ce bien un empereur d’Allemagne, celui qui ne faisait que souscrire aux prescriptions honteuses d’un général français ? N’était-ce pas à présent l’occasion d’affranchir la patrie d’une oppression séculaire ? Ceux qui s’y refuseraient avaient-ils du noble sang germain dans les veines ? » Vainement, pour user de représailles, l’empereur lui reprochait-il à son tour, dans des documens publics, d’avoir livré l’empire au pillage en y introduisant des hordes semi-barbares sorties des steppes de la Tartarie. La réponse paraissait insuffisante. La diète réunie à Francfort auprès de Charles VII lui-même, mais intimidée par ces appels contradictoires, se renfermait dans un prudent silence, et l’accent comme l’écho manquait à la voix du souverain en détresse[1].

Pendant que les ordres de Vienne prévenaient ainsi chez les généraux autrichiens toute ombre d’hésitation, Maillebois était loin de recevoir de sa cour de pareils stimulans. Tout ce qui venait de Versailles ne parlait, au contraire, que de désirs et d’offres de paix. « Dites un mot, ne cessait de répéter presque officiellement le ministre Amelot au marquis de Stainville, que vos troupes fassent mine de s’éloigner de Munich, et l’ordre de rétrograder sera expédié aux nôtres. »

La perplexité du malheureux maréchal croissait d’heure eu heure, car il ne pouvait faire un mouvement sans trouver toutes les forces ennemies prêtes à se masser devant lui pour lui barrer le passage. Le comte de Saxe, confident de ses incertitudes, prenant pitié de sa peine, lui indiqua enfin un expédient que sa connaissance du pays lui faisait croire praticable. Au lieu de tendre directement vers Prague en forçant l’obstacle qu’on rencontrait devant soi, on pouvait incliner vers le nord et atteindre ainsi la frontière de Saxe, le long de laquelle se trouvaient encore plusieurs places où, depuis

  1. Les divers rescrits de Marie-Thérèse et de Charles VII, qui furent tous publiés, se trouvent inscrits à leur date dans la Correspondance de Vienne au ministère des affaires étrangères.