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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/847

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qu’il mériterait plutôt le reproche contraire. Passons enfin à la théodicée, qui, nous l’avons dit déjà, ne paraissait pas même sous son nom et servait seulement d’appendice à la morale. J’y trouve cet article : « Enumération et appréciation des preuves de l’existence de Dieu. » Quoi ! c’est là un dogme ! Enumérer des preuves n’est guère qu’une affaire de statistique et d’histoire : les apprécier, n’est-ce pas l’œuvre du libre examen ? Dans aucun des programmes qui ont suivi, une aussi large part n’a été faite à la liberté des professeurs sur cette question souveraine[1].

Ainsi une psychologie expérimentale, terminée par les vues les plus discrètes sur la distinction de l’âme et du corps, une logique presque réduite à la méthodologie de Bacon, de Descartes et de Condillac, une morale indépendante, séparée de la théodicée, enfin une théodicée restreinte considérée, non comme la base, mais comme le couronnement de la science, tel a été le plan que M. Cousin a préparé et fait accepter pour l’enseignement philosophique pendant vingt années.

Bien loin de trouver dans le programme de 1832 cette prédominance exclusive et intolérante des questions métaphysiques et doctrinales, ce qu’on pouvait plus justement lui reprocher, c’est de les avoir trop effacées et de les avoir trop réduites à un rôle subalterne. Et, en effet, à cette époque, c’était une marque d’indépendance et une sorte de révolte que de réclamer pour les questions métaphysiques et religieuses une part plus importante et une place plus élevée. En veut-on la preuve ? — Voici deux cours de philosophie de ce temps : celui de M. Gibon (1842), et celui de M. Patrice Laroque (1838, 2e édition). Ces deux philosophes étaient l’un et l’autre des adversaires personnels de M. Cousin. C’étaient aussi deux esprits libres et avancés, nullement suspects, bien au contraire, d’esprit clérical et théologique. Que reprochaient-ils cependant l’un et l’autre au programme de philosophie ? C’est précisément l’omission des questions religieuses. Que signalent-ils dans leurs préfaces comme une preuve d’originalité et d’indépendance ? C’est d’avoir donné à la théodicée une plus grande importance et de l’avoir placée avant la morale. Voici comment s’exprimait M. Gibon :

  1. Si l’on veut se rendre compte de l’esprit hautement philosophique dans lequel cette question était traitée par l’école éclectique, il faut lire le très beau chapitre d’Emile Saisset sur les preuves de l’existence de Dieu, dans le Manuel de philosophie (par A. Jacques, Simon et Saisset). Saisset rejetait la preuve de Newton : il admettait la critique de Kant sur la preuve des causes finales et sur l’argument a priori ; quant aux autres preuves, elles n’étaient toutes, suivant lui, sous des formes logiques, que l’analyse « du mouvement naturel de l’intelligence humaine qui s’élève d’elle-même à son principe (p. 418) ; doctrine qui est précisément celle de Hegel : « Les preuves de l’existence de Dieu ne sont que des expositions, des descriptions de l’élévation du monde à Dieu. » (Logique, traduction française, page294-296, tome I.)