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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/848

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« J’ai donné à la théodicée et à la morale plus d’extension qu’elles n’en ont d’ordinaire dans l’enseignement, la théodicée forme dans ce cours une partie distincte et n’est plus comprise comme complément de la morale… En développant cette partie importante de mon cours, j’ai toujours agi dans la persuasion que j’avais à exercer auprès de la jeunesse un véritable sacerdoce[1]. » C’est dans le même esprit d’opposition qu’était écrit le manuel de M. Patrice Laroque. Il se plaignait des progrès du panthéisme, qui « était descendu des chaires supérieures jusque dans les humbles chaires de nos collèges.. Prémunir les élèves contre ses atteintes (c’est-à-dire contre la philosophie de Cousin) me semble aujourd’hui un des premiers devoirs de l’enseignement philosophique. » En conséquence, il revendiquait pour la théodicée une place plus élevée dans le programme : « J’ai mis en relief la théologie comme une des parties les plus importantes de l’enseignement… Je tiens plus que jamais à ce qu’on ne la relègue pas dans un coin obscur d’un chapitre de morale, comme le font les philosophes écossais et leurs serviles imitateurs… Il faut ramener notre époque à de fortes croyances… La philosophie d’aujourd’hui doit être essentiellement religieuse. »

On voit par ces paroles (et nous en pourrions citer beaucoup d’autres) quelle étrange méprise commettent les critiques d’aujourd’hui, qui, antidatant des opinions postérieures, croient que le vice de l’enseignement de Cousin a été l’excès du dogmatisme théologique. C’était le contraire que lui reprochait l’opinion libérale, ainsi qu’à Jouffroy, au moins pendant la première partie du règne de Louis-Philippe[2]. Au contraire, c’étaient alors les catholiques qui reprochaient à la philosophie de s’avancer sur le terrain religieux et

  1. Avertissement, p. VII.
  2. Lorsqu’on 1846 le Dictionnaire des sciences philosophiques vint donner un corps à l’ensemble de la doctrine spiritualité, c’était précisément pour répondre à l’objection, très répandue alors, que l’éclectisme était le scepticisme, et qu’on enseignait toutes les opinions sans en avoir aucune. Ce qui prouve d’ailleurs que ces doctrines étaient des doctrines de conviction, et nullement des dogmes imposés par M. Cousin, c’est par exemple lorsque nous voyons1 un philosophe aussi indépendant qu’Amédée Jacques, qui allait payer cette indépendance de la perte de sa carrière, républicain ardent et convaincu, ennemi personnel de Cousin et ayant fondé contre lui la Liberté de penser, lorsque nous voyons ce même philosophe, écrivant dans son recueil, en 1848, après la révolution de février, ces paroles caractéristiques : a Si l’on entend par philosophie d’état l’enseignement des grandes vérités sociales, nous ! e disons hautement, l’état n’a pas le droit de s’abstenir… L’état n’est pas athée. Il doit donc enseigner Dieu aux jeunes gens qu’il élève et l’enseigner au nom de la raison humaine et du cœur humain. » (P. 494.) Le même philosophe, dans la même Revue, défendait contre le panthéisme allemand le spiritualisme et le théisme cartésien. C’étaient les doctrines de ce temps-là. On peut les trouver superficielles si l’on veut (et peut-être sont-ce les critiques qui sont superficiels), mais on n’a aucun droit de les considérer comme serviles.