Page:Sand - Antonia.djvu/262

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— Nous voici donc, reprit Marcel, en présence d’un fait inouï, mais très-réel, très-prochain, et concluant pour l’existence de deux personnes qui vous sont chères, ma tante et Julien, puisque mon raisonnement me place en dehors de la question. Vous avez de graves réflexions à faire. Voulez-vous rester seule pour vous y livrer, ou me permettez-vous de vous dire tout de suite ce que je vous eusse dit il y a une heure, si vous m’eussiez pris pour confident avant l’apparition de M. Antoine ?

— Dites, Marcel : il faut tout me dire.

— Eh bien, madame, admettons que, malgré son dépit, M. Antoine enchérisse sur la marquise ; voyez combien votre sort est désormais médiocre : deux ou trois mille livres de rente ! Vous épousez Julien, qui ne possède au monde que ses bras, et vous voilà bientôt mère, avec madame Thierry à soutenir et à soigner, une servante pour elle, et pour vous une nourrice, puis un homme de peine, à moins que Julien ne quitte ses pinceaux quand il faudra faire les grosses corvées d’un ménage, si modeste qu’il soit. Vous vivrez certainement avec honneur, car il travaillera ; madame Thierry tricotera tous les bas de la famille, et vous serez économe. Vous aurez une seule robe de soie et vous porterez des robes d’indienne. Vous ne sortirez qu’à pied et vous ne vous permettrez pas un bout de ruban sans avoir bien compté sur vos doigts si vos petites épargnes y suffisent. C’est ainsi que ma femme a commencé la vie quand j’ai acheté une étude.