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Page:Sand - Confession d une jeune fille - vol 1.djvu/129

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avait le jugement et l’expérience des choses pratiques. J’étais si enfant sous ce rapport, moi ! On m’avait gardée si pure et tellement ignorante du mal ! Toutes les fois que devant moi il était question d’un crime ou d’un scandale, ma grand’mère me distrayait pour m’empêcher d’entendre ; Jennie m’emmenait, Frumence me faisait lire quelque belle histoire, et à la moindre inquiétude de ma part on me disait : « Les gens qui font le mal sont des malades ; n’y songez pas : c’est l’affaire des médecins. » Depuis l’aventure de Denise, cette raison du mal m’avait toujours paru concluante, puisque Denise m’aimait tout en voulant me tuer.

Après le récit de Marius, je crus que la folie était autour de moi, ravageant toutes les âmes qui avaient servi de refuge à la mienne, troublant toutes les consciences que ma conscience avait prises pour appui et pour modèle. Un instant je craignis de devenir folle moi-même, et je crois qu’au lieu de défendre mes amis et de gronder Marius, je ne sus que divaguer et m’épouvanter avec lui, comme si tous deux nous fussions tombés dans un abîme.