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Page:Sand - Confession d une jeune fille - vol 1.djvu/162

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mémoire et qu’elle appliquait à tort et à travers. Elle faisait tous les rochers un peu ronds, tous les arbres un peu pointus ; toutes ses eaux étaient du même bleu, tous ses ciels du même rose. Si elle faisait un lac, elle ne pouvait se dispenser d’y mettre un cygne, et, s’il y avait une barque, il y fallait invariablement un pêcheur napolitain. Elle aimait les ruines avec passion et trouvait moyen, quels que fussent l’âge et la localité de ses modèles d’après nature, d’y introduire une arcade ogivale festonnée du même lierre dont la guirlande lui avait servi pour toutes les arcades possibles.

Elle n’essaya pas de m’apprendre le chant. Elle me le faisait tellement haïr avec ses romances sentimentalement tremblotées et son aigre accent de mouette, que je lui fis, dès le premier jour, la comédie de chanter à un quart de ton plus bas que la note. Elle décréta que j’avais la voix fausse, et je fus sauvée de la romance.

Resta donc l’anglais, que j’appris en m’habituant à causer avec elle. J’avais de la facilité pour les langues et même de la mémoire pour les dialectes. D’ailleurs, je découvris que la seule manière de supporter la banale conversation de miss Agar, c’était de l’utiliser ainsi à mon profit en marchant avec elle. Comme je devins un peu languissante de quatorze à quinze ans, Jennie exigeait que je fisse