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Page:Sand - Correspondance 1812-1876, 4.djvu/325

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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

tous les cailloux blancs pour les comparer les uns aux autres. Alors j’ai pris un ou deux romans de moi pour me rappeler que jadis — il a six semaines encore — j’écrivais des romans. D’abord je ne comprenais rien du tout. Peu à peu, ça s’est éclairci. Je me suis reconnue, dans mes qualités et dans mes défauts, et j’ai repris possession de mon moi littéraire. À présent, c’est fini, en voilà pour longtemps à ne pas me relire et à fonctionner comme une eau qui court sans trop savoir ce qu’elle pourrait refléter en s’arrêtant.

Quand vous retomberez dans ces crises-là, relisez le Régent Mustel, et la Dame aux perles ou la première venue de vos pièces, et vous vous repêcherez ; car nous passons notre vie à nous noyer dans le prisme changeant de la vie, et le petit rayon que nous pouvons avoir en propre y disparaît bien facilement. Mais cela n’est pas mauvais, croyez-le. Se relire souvent, s’examiner sans cesse, se connaître toujours serait un supplice et une cause de stérilité.

Croyez bien que le père Dumas n’a dû l’abondance de ses facultés qu’à la dépense qu’il en a faite. Moi, j’ai des goûts innocents, aussi je ne fais que des choses simples comme bonjour. Mais, pour lui qui porte un monde d’événements, de héros, de traîtres, de magiciens, d’aventures, lui qui est le drame en personne, croyez-vous que les goûts innocents ne l’auraient pas éteint ? Il lui a fallu des excès de vie pour renouveler sans cesse un énorme foyer de vie. Vous ne le changerez pas en effet, et vous porterez le poids de cette