Page:Sand - Correspondance 1812-1876, 5.djvu/259

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je dorme en chemin de fer mieux que dans un lit. Mais je suis affaiblie cette année, et il faut que je patiente, ou que je m’habitue à n’avoir plus d’énergie vitale. Je ne souffre pas, c’est toujours ça. J’ai retrouvé ma charmante belle-fille toujours charmante, et ma petite-fille sachant donner de gros baisers et marchant presque seule. Chère enfant ! je n’ose pas l’adorer. Il m’a été si cruel de perdre les autres ! Elle est forte et bien portante ; mais je ne peux plus croire à aucun bonheur, bien que je paraisse toujours avec mes enfants l’espérance en personne.

Nohant est tout en feuilles et en fleurs, bien plus que Paris et Palaiseau. Il n’y fait pas froid ; mais nous avons des bourrasques comme en pleine mer. Maurice a fini toutes les corrections que vous lui aviez indiquées. Il me charge de vous renouveler tous ses remerciements et de vous exprimer sa cordiale gratitude. Moi, j’ai à vous remercier toujours pour vos bonnes lettres et les détails si intéressants sur tous nos amis de lettres. Vous vivez avec délices dans cette atmosphère capiteuse. C’est de votre âge. Moi, je m’y plais complètement quand j’y suis ; mais je ne sais si je pourrais y vivre toujours sans dépérir. Je suis paysan au physique et au moral. Élevée aux champs, je n’ai pas pu changer, et, quand j’étais plus jeune, le monde littéraire m’était impossible. Je m’y voyais comme dans une mer, j’y perdais toute personnalité, et j’avais aussitôt un immense besoin de me retrouver seule ou avec des êtres primitifs.