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Page:Sand - Jean Ziska, 1867.djvu/199

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bien ! qu’ai-je donc à le regarder ainsi comme malgré moi ? avec ses quinze ou seize ans, et son menton lisse comme celui d’une femme, il me fait illusion… Je voudrais avoir une maîtresse qui lui ressemblât. Mais une femme n’aura jamais ce genre de beauté, cette candeur mêlée à la force, ou du moins au sentiment de la force… Cette joue rosée est celle d’une femme, mais ce front large et pur est celui d’un homme. (Il remplit son verre et s’assied, en se retournant à chaque instant pour regarder Gabriel. Il boit.) La Faustina est une jolie fille… mais il y a toujours dans cette créature, malgré ses minauderies, une impudence indélébile… Son rire surtout me crispe les nerfs. Un rire de courtisane ! J’ai rêvé qu’elle soupait avec Alberto ; elle en est, mille tonnerres ! bien capable. (Regardant Gabriel.) Si je l’avais vue une seule fois dormir ainsi, j’en serais véritablement amoureux. Mais elle est laide quand elle dort ! on dirait qu’il y a dans son âme quelque chose de vil ou de farouche qui disparaît à son gré quand elle parle ou quand elle chante, mais qui se montre quand sa volonté est enchaînée par le sommeil… Pouah ! ce vin est couleur de sang… il me rappelle mon cauchemar… Décidément je me dégoûte du vin, je me dégoûte des femmes, je me dégoûte du jeu… Il est vrai que je n’ai plus soif, que ma poche est vide, et que je suis en prison. Mais je m’ennuie profondément de la vie que je mène ; et puis, ma mère l’a dit, Dieu fera un miracle et je deviendrai un saint. Oh ! qu’est-ce que je vois ? c’est très-édifiant ! mon petit cousin porte un reliquaire ; si je pouvais écarter tout doucement le col de sa chemise, couper le ruban et voler l’amulette pour le lui faire chercher à son réveil…

(Il s’approche doucement du lit de Gabriel et avance la main. Gabriel s’éveille brusquement et tire son poignard de son sein.)