Page:Sand - Journal d’un voyageur pendant la guerre.djvu/20

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

poisson s’y est réfugié. À deux pas plus loin, la Tarde disparaît et reparaît de place en place ; elle semble revivre, marcher avec le vent qui la plisse, mais elle s’arrête et se perd toujours. En mille endroits, on passe la furieuse à pied sec, sur des entassements de roches brisées ou roulées qui attestent sa puissance évanouie. Rien n’est plus triste que cette eau dormante, enchaînée, trouble et morne, qui a conservé à ses rives escarpées un peu de fraîcheur printanière, mais qui semble leur dire : « Buvez encore aujourd’hui, demain je ne serai plus. »

J’avais un peu oublié nos peines. Il y avait de ces recoins charmants où quelques fleurettes vous sourient encore et où l’on rêve de passer tout seul un jour de far niente, sans souvenir de la veille, sans appréhension du lendemain. En face, un formidable mur de granit couronné d’arbres et brodé de buissons ; derrière soi, une pente herbeuse rapide, plantée de beaux noyers ; à droite et à gauche, un chaos de blocs dans le lit du torrent ; sous les pieds, on a cet abîme où,