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Page:Sand - Journal d’un voyageur pendant la guerre.djvu/21

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à la saison des pluies, deux courants refoulés se rencontrent et se battent à grand bruit, mais où maintenant plane un silence absolu. Un vol de libellules effleure l’eau captive et semble se rire de sa détresse. Une chèvre tond le buisson de la muraille à pic ; par où est-elle venue, par où s’en ira-t-elle ? Elle n’y songe pas ; elle vous regarde, étonnée de votre étonnement. Je contemplais la chèvre, je suivais le vol des demoiselles, je cueillais des scabieuses lilas ; quelqu’un dit près de moi :

— Voilà une retraite assez bien fortifiée contre les Prussiens !

Tout s’évanouit, la nature disparaît. Plus de contemplation. On se reproche de s’être amusé un instant. On n’a pas le droit d’oublier. Va-t’en, poésie, tu n’es bonne à rien !

Mon âme est-elle plus en détresse que celle des autres ? Il y a si longtemps que j’ai abandonné à ma famille les soins de la vie pratique, que je suis redevenue enfant. J’ai vécu au-dessus du possible immédiat, ne tenant bien compte