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Page:Sand - La Filleule.djvu/105

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chaste des hommes, de gravelure pantagruélesque. C’était son fait, au reste, de parler de tout ex professo, sans avoir jamais usé de rien.

Clet fut fort triste, dès qu’il se vit écrasé par la verve d’un homme dont il s’était promis de faire un plastron.

Julien, qui était frivole comme un enfant riche et comblé, mais bon comme sa mère, au fond, et généreux comme sa sœur, donna les mains joyeusement au triomphe de Roque.

Clet, que le vin ne pouvait égayer, devint nerveux et tourna à l’irritation.

Il me serait impossible de dire par quel chemin de traverse nous nous trouvâmes arrêtés face à face, lui et moi, dans une impasse de plaisanteries assez aigres de sa part, un peu dures de la mienne. J’étais parfaitement de sang-froid, et s’il était ivre, il le paraissait si peu, que je ne pus tolérer ses sarcasmes.

Son animosité contre moi datait déjà de loin. Il avait su la contenir jusque-là. J’aurais dû me dire peut-être qu’il était sérieusement épris, puisqu’il souffrait, et que ce malaise demandait quelque indulgence de ma part. Mais il dénigrait si ouvertement pour moi l’objet de mon culte, que je perdis patience et le blessai plus que je ne voulais.

Roque faisait tant de bruit que nous eûmes le malheur de pouvoir nous dire, sans être entendus, tout ce que la présence et l’attention de Julien nous eussent forcés de refouler bien avant. Quand on se leva de table, Hubert Clet m’avait provoqué tout bas. Julien remarqua que tous deux nous étions pâles. Roque déclara que c’était la densité nébuleuse de la fumée des cigares qui nous faisait paraître ainsi, et il sortit pour promener gaiement les fumées de son vin sur les boulevards. Je vis bien que sa cravate blanche un peu relâchée, son grand chapeau rejeté en arrière et ses yeux myopes brillant derrière ses lunettes posées de travers faisaient retourner les passants ; je le remmenai dans notre quartier latin.