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Page:Sand - La Filleule.djvu/106

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Le lendemain, j’étais au bois de Boulogne avec lui, attendant Hubert Clet, qui y arriva bientôt, escorté de son témoin. Il n’avait pu choisir Julien, et pour cause : le sujet de notre querelle et notre querelle elle-même devaient lui être soigneusement cachés.

Je ne m’étais jamais battu, comme on peut croire. Clet, qui vivait dans le monde et qui affichait l’esprit frondeur, avait eu déjà une affaire. Il était d’un calme magnifique et s’y complaisait comme un acteur qui joue un rôle dans ses moyens. Je n’avais rien à affecter. Je n’ai jamais su si j’avais du courage, mais il ne me semble pas qu’il en faille pour risquer sa vie au bout d’un pistolet ou d’une épée, quand elle est toujours en risque, à tous les moments de notre éphémère et fragile existence. Roque, qui m’aimait certainement autant que lui-même et qui eût souhaité se battre à ma place, avait autant de sang-froid que moi, ce qui était beaucoup plus méritoire.

Le témoin de Clet était un professeur émérite d’affaires d’honneur qui, à vingt-cinq ans, prenait les airs d’un patriarche du coupe-gorge. Il voulut d’abord essayer d’arranger l’affaire, et me demanda, dans la forme classique, si, en traitant M. Clet de fat impertinent, j’avais eu l’intention de l’offenser personnellement.

Je répondis qu’à coup sûr j’avais eu l’intention de lui prouver son impertinence et sa sottise, et que je persistais dans ce sentiment, à moins qu’il ne convînt lui-même de son tort et ne le réparât en rétractant les sottises et les impertinences qu’il m’avait dites.

C’était au tour de Roque d’aller demander à Clet s’il avait eu l’intention de m’offenser. Il s’y prit plus simplement et lui dit :

— Vous avez traité mon ami de tartufe de village et de petit don Juan de mansarde. C’est peut-être drôle, mais nous ne voulons pas en rire. On vous a répondu sans amphibologie que