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Page:Sand - La Filleule.djvu/107

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vous étiez un fat et un impertinent ; vous avez demandé à vous battre, nous voici ; que décidez-vous ?

Le témoin de Clet trouva le procédé irrégulier, et après, dix minutes de pourparlers très-inutiles, où le témoin nous donna à tous trois de fortes envies de rire, nous fûmes placés, Clet et moi, en face l’un de l’autre. Nous tirâmes ensemble. Clet me logea une balle dans les côtes. Je lui cassai un bras. L’honneur était satisfait. Ma blessure n’était pas très-grave. La balle fut aisément extraite. Je ne souffris pas de manière à perdre le courage ou la connaissance un seul instant. Sans être d’une apparence robuste, j’ai dans le sang un peu de la force tranquille du paysan berrichon, je ne suis pas très-sensible à la douleur.

Clet fut plus malade que moi. Son organisation nerveuse, déjà très-excitée par un régime absurde, lui occasionna de violents accès de fièvre, et l’enflure du bras fut fort tenace. Roque le vit souvent de ma part, et lui rendit son estime en voyant que, reconnaissant son tort, il tenait fort secrets notre duel et sa cause.

J’étais au lit depuis trois jours, encore assez malade et affaibli par l’opération, lorsque je reçus une lettre de mon père qui m’annonçait de grosses pertes de bestiaux, et m’engageait à vivre de mon travail, sans compter davantage sur son assistance.

Cette contrariété me parut d’abord peu de chose ; mais ce manque de parole et le ton froid et presque dur de la lettre m’affectèrent beaucoup. Mon pauvre père, lui, si loyal et si bon, il me retirait même la jouissance du mince héritage de ma mère, et il m’abandonnait à mes propres ressources sans me donner le temps d’aviser.

Ce n’est pas du jour au lendemain qu’on trouve une occupation, si misérable qu’elle soit. J’avais contracté quelques obligations, en ce sens que j’avais attribué d’avance, sur les ter-