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Page:Sand - La Filleule.djvu/110

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de Schwartz ma dernière pièce de monnaie. Je sortis en me disant qu’il fallait trouver du travail ce jour-là, ou avouer ma misère à mon pauvre Roque.

Je courus tout le jour ; je rentrai sans succès et sans espérance. Le lendemain, je voulus tenter encore une journée de démarches avant de me risquer à de tristes aveux. Je sortis à jeun, je rentrai de même, sans plus de succès que la veille.

J’avais vendu ou engagé au mont-de-piété mes pauvres hardes. Il ne me restait que les reliques de ma mère, au milieu desquelles j’allais mourir d’inanition plutôt que d’essayer d’en tirer un dernier morceau de pain.

Je me décidai à écrire à Roque que Schwartz avait faim et que je n’avais plus rien à partager avec lui. Je portai ma lettre à la première boîte, ne me sentant pas la force d’aller jusque chez mon ami, qui demeurait auprès de l’Observatoire. Je remontai avec peine mes cinq étages, j’entrai doucement chez Schwartz. Il dormait. Je savais que le piano ne le réveillait pas. Je me mis à jouer très-doux la dernière chanson rustique que j’avais entendu chanter à ma mère. Je sentis un grand calme succéder aux battements précipités de mon cœur. La sueur se refroidit sur mon front. La dernière goutte d’huile s’épuisa dans la lampe. Je m’en aperçus à peine, tant mon regard était déjà troublé ; puis je ne sentis plus rien : mes mains se roidirent sur le clavier, ma tête tomba sur le pupitre ; il me sembla que je m’endormais pour toujours. Je distinguai encore faiblement l’horloge du Luxembourg, qui sonnait dix heures ; puis je devins complétement inerte.

Quand je revins de cette défaillance, je vis autour de moi des fantômes qui me firent craindre de n’avoir échappé à la mort que pour arriver à la folie. Anicée et sa mère étaient près de moi ; elles me parlaient avec tendresse, elles me prodiguaient les plus doux soins. Schwartz et le chevalier de Valestroit allaient et venaient dans la chambre. Je vis confusément des fioles, des