Page:Sand - La Filleule.djvu/109

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J’écrivis à mon père pour lui demander trois mois de répit, lui remontrant avec soumission que c’était le temps nécessaire pour trouver à me caser. Il ne me répondit pas. J’ai su plus tard qu’une main avide et cruelle avait supprimé ma lettre.

Roque eût partagé sa chambre et son pain avec moi ; mais je l’aurais gêné dans ses études, et, en acceptant son assistance, je l’eusse empêché d’acheter des livres et des instruments ; car il apprenait en ce moment la médecine et la chirurgie, et je savais qu’il se privait souvent de manger pour se procurer cette satisfaction. Autant valait lui demander sa vie que ses moyens de développement intellectuel. Je lui cachai ma position.

Mon bon Schwartz commençait à retomber dans la misère. Il avait naïvement confié ses mille francs à un compatriote qui les lui avait emportés. La goutte l’avait pris, et, après de vains efforts pour descendre son escalier, il s’était vu forcé d’interrompre ses leçons dès le début. Rien ne fait plus de tort à un malheureux que de commencer par être malade. On l’avait remplacé au bout de quinze jours.

Je n’avais ni le temps ni la force d’aller donner un coup d’œil à la maison de la rue de Courcelles ; par conséquent, je n’avais pas l’occasion d’écrire à Saule. Mon silence étonna et inquiéta. On envoya Julien savoir de mes nouvelles. Il vint deux fois sans me trouver et écrivit que je me portais bien, puisque j’étais toujours dehors. Puis il partit lui-même pour rejoindre sa mère et sa sœur.

Ma blessure était guérie, malgré le peu de soin que j’en avais pris ; mais ma force, qui n’avait pas eu le temps de revenir, commençait à m’abandonner tout à fait. Parfois j’éprouvais des faims dévorantes que je n’avais pas le moyen de satisfaire. D’autres fois, j’éprouvais un dégoût invincible pour les aliments. Un jour je dépensai pour mon déjeuner et celui