Aller au contenu

Page:Sand - La Filleule.djvu/137

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme certains animaux de proie ou de rapine, il revient rarement aux endroits où il a été chassé.

Le lendemain, j’appris du même agent de police que mon homme s’appelait ou se faisait appeler Antonio, qu’il était bohémien de race ou de profession, qu’il ne pouvait justifier d’aucun moyen d’existence, et qu’on l’avait arrêté provisoirement. On était sur la trace de ses méfaits, parce qu’il avait un enfant qui se faisait appeler Dariole, et dont on observait toutes les démarches.

Au bout de quelques jours, les renseignements furent plus complets. Antonio exerçait assez fructueusement le métier de voleur à la tire, auquel il voulait dresser son fils. Celui-ci, paresseux, vagabond, menteur, insolent, était cependant, soit par frayeur, soit par un fonds de probité naturelle, un fort mauvais élève que son père rouait de coups pour sa résistance ou sa gaucherie. Comment on avait su tous ces détails, je l’ai oublié ; mais ils étaient certains, et l’agent de police, qui, après tout, rentré dans sa famille, était, à ses heures, un homme aussi doux et aussi moral que bien d’autres, s’apitoyait sur le sort de ce petit malheureux dont il hésitait à s’emparer.

Tirer un enfant du bourbier du crime et du vice, pour essayer, à tout risque, d’en faire un honnête homme, c’est là un devoir qui m’a toujours paru d’une pratique irrésistible, quand les moyens de m’en acquitter ne m’ont pas été absolument interdits par ma position. Je priai donc l’agent de police d’arrêter Dariole, de manière à l’effrayer beaucoup, puis de me l’amener et de consentir devant lui, sur mes instances, à me le laisser gouverner. Comme on ne pouvait constater encore aucun fait ouvertement coupable de sa part, il n’appartenait qu’en herbe aux tribunaux. C’était l’expression de mon interlocuteur.

Autant les agents subalternes de la police sont haïs quand ils fonctionnent dans l’ordre des passions politiques, autant